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HISTOIRE DE MA VIE 205

cervelle comme une chose qui devail être, qui avait tou- jours été, et dont je ne m'étais pas encore aperçue ; je comparai ce phénomène à celui de mes orblutes, qui m'a- vait d'abord étonnée tout autant, et auquel je m'étais ha- bituée sans le comprendre. J'en conclus que toutes choses et toutes gens avaient leur reflet, leur double, leur autre ??iO, et je souhaitai vivement de voir le mien. Je l'appelai cent fois, je lui disais toujours de venir auprès de moi. 11 répondait : Viens /à, viens donc, et il me semblait s'éloi- gner ou se rapprocher quand je changeais de place. Je le cherchai et l'appelai dans l'appartement, il ne me répondit plus; j'allai à l'autre bout de la terrasse, il fut muet; je revins vers le milieu, et, depuis ce milieu jusqu'à l'ex- trémité du côté de l'église, il me parla et répondit à mon Viens donc par un Viens donc tendre et inquiet. Mon autre moi se tenait donc dans un certain endroit de l'air ou de la muraille, mais comment l'atteindre et comment le voir? Je devenais folle sans m'en douter.

Je fus interrompue i)ar l'arrivée de ma mère, et je ne saurais dire pourquoi, loin de la questionner, je lui cachai ce qui m'agitait si fort. Il faut croire que les enfants aiment le mystère de leurs rêveries, et il est certain que je n'avais jamais voulu demander l'explication de mes orblutes. Je voulais découvrir le problème toute seule, ou peut-être avais-je été déçue de quelque autre illusion par des expli- cations qui m'en avaient ôté le charme secret. Je gardai le silence sur ce nouveau prociige, et pendant [)lusieurs jours, oubliant les ballets, je laissai mon pauvre lapin dormir tranquille, et la psyché répéter l'image immobile d s grands personnages représentés dans les tableaux. J'avais la patience d'attendre que je fusse seule pour recommencer mon expérience ; mais enfin ma mère était rentrée sans que j'y fisse attention, et m'enfendant m'égosiller, vint sur- prendre le secret de mon amour pour le grand soleil de

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