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HISTOIRE DE MA VIE 203

tout le temps que je passai à Madrid. Il est probable qu'a- près l'insurrection du 2 mai on ne laissa plus circuler les habitants autour du palais du général en chef. Je n'y vis donc jamais que des uniformes français et quelque chose de plus beau encore pour mon imagination, les mameluks de la garde, dont un poste occupait l'édifice situé en face de nous. Ces hommes cuivrés, avec leurs turbans et leur riche costume oriental, formaient des groupes que je ne pouvais me lasser de regarder. Ils amenaient boire leurs chevaux à un grand bassin situé au milieu de la place, et c'était un coup d'œil dont, sans m'en rendre compte, je sentais vivement la poésie.

A ma droite, tout un côté de la place était occupé par une église d'une architecture massive, du moins elle se retrace ainsi à ma mémoire, et surmontée d'une croix plantée dans un globe doré. Cette croix et ce globe élin- celant au coucher du soleil, se détachant sur un ciel plus bleu que je ne l'avais jamais vu, sont un spectacle que je n'oublierai jamais, et que je contemplais jusqu'à ce que j'eusse dans les yeux ces boules rouges et bleues que par un excellent mot, dérivé du latin, nous appelons, dans notre langage du Berry, les orblutes^. Ce mot devrait passer dans la langue moderne. 11 doit avoir été français, quoique je ne l'aie trouvé dans aucun auteur. Il n'a point d'équivalent, et il exprime parfaitement un phénomène que tout le monde connaît et qui ne s'exprime que par des périphrases inexactes.

Ces orblutes m'amusaient beaucoup, et je ne pouvais pas m'en expliquer la cause toute naturelle. Je prenais plaisir à voir flotter devant mes yeux ces brûlantes couleurs qui s'attachaient à tous les objets, et qui persistaient lorsque

i. Pour que le mot fût bon, il faudrait changer une lettre et dire orhluccs.