âOâ HISTOIRE DE MA VIE
Aussitôt que je me voyais seule dans ce grand apparte- ment que je pouvais parcourir librement, je me meitais devant la psyché, et j'y essayais des poses de théâtre. Puis je prenais mon lapin blanc, et je voulais le contraindre à en foire autant : ou bien je foisais le simulacre de l'offrir en sacrifice aux dieux, sur un tabouret qui me servait d'autel. Je ne sais pas où j'avais vu, soit sur la scène, soit dans une gravure, quelque chose de semblable. Je me dra- pais dans ma mantille pour faire la prêtresse, et je suivais tous mes mouvements. On pense bien que je n'avais pas le moindre sentiment de coquetterie; mon plaisir venait de ce que, voyant ma personne et celle du lapin dans la glace, j'arrivais, avec l'émotion du jeu, à me persuader que je jouais une scène à quatre, soit deux petites filles et deux lapins. Alors le lapin et moi nous adressions en pantomime des saints, des menaces, des prières aux personnages de la psyché. Nous dansions le boléro avec eux, car, après les danses du théâtre, les danses espagnoles m'avaient chaim.?c et j'en singeais les poses et les grâces avec la facilité qu'ont les enfants à imiter ce qu'ils voient faire. Alors j'oubliais complètement que cette figure dansant dans la glace fût la mienne, et j'étais étonnée qu'elle s'arrêtât quand je m'arrêtais.
Quand j'avais assez dansé et mimé ces ballots de ma composition, j'allais rêver sur la terrasse. Cette terrasse, qui s'étendait sur toute la façade du palais, était fort large cl fort belle. La balustrade était en marbre blanc, si je ne me trompe pas, et devenait si chaude au soleil que je ne pouvais y toucher. J'étais trop petite pour voir par-dessus, mais dans l'intervalle des baUistres je pouvais distinguer tout ce qui se passait sur la place. Dans mes souvenirs cette place est magnifique. 11 y avait d'autres piilais ou de grandes belles maisons tout autour, mais je n'y vis jamais la population, et je ne crois pas l'avoir aperçue durant
