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HISTOIRE DE MA VIE 201

pourtant il me parut e-strêmement long. Je n'avais aucun enfant de mon âge pour me distraire et j'étais souvent seule durant une grande partie de la journée. Ma mère était forcée de sortir avec mon père et de me confier à une ser- vante madrilène qu'on lui avait recommandée comme très- sùrc, et qui pourtant prenait la clef des champs aussitôt que mes parents étaient dehors. Mon père avait un domes- tique nommé Weber, qui était bien le meilleur homme du monde et qui venait souvent me garder à la place de Térésa; mais ce brave allemand, qui ne savait presque pas de mots français, me parlait un langage inintelligible, et il sentait si mauvais, que, sans me rendre compte de la cause de mon malaisf, je tombais en défaillance quand il me portait dans SCS bras. Il n'osait pas trahir le peu de soin que ma bonne prenait de moi, et quant à moi, je ne songeais nul- lement à m'en plaindre. Je croyais Weber chargé de veiller sur moi et je n'avais qu'un désir, c'est qu'il restât dans l'antichambre et me laissât seule dans l'appartement. Aussi ma première parole était de lui dire : Webcr, je t'aime bicn^ va-Ven. Et Weber, docile comme un allemand, s'en allait en effet. Quand il vit (pie je me tenais fort tran- quille dans ma solitude, il lui arriva souvent de m'y c<i- ferincr et d'aller voir ses chevaux, qui probablement h» recevaient mieux que moi. Je connus donc pour la pre- mière fois le plaisir, étrange pour un enfant, mais vive- ment senti par moi, de me (rouver seule, et, loin d'en être conlrarit'e ou effrayée, j'avais comme du regret en voyant revenir la voiture de ma mère. 11 faut que j'aie été bien impressionnée par mes propres contemplations, car je me les rappelle avec une grande netteté, tandis que j'ai oublié mille circonstances extérieures probablement beau- coup I lus intéressantes. Dans celles que j'ai rapportées, les souvenirs de ma mère ont entretenu ma mémoire; mais, dans ce que je vais dire, je ne puis être aidée de personne.