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HISTOIRE DE MA VIE 197

appartements, ou, profitant de la pn'ocupation générale,- avaient-ils passé de la cuisine au salon ? Il y en avait un, blanc eOninie la neige, avec des yeux de rubis, qui se mit tout de suite à agir très-familièrement avec moi. 11 s'était installé dans l'angle de la chambre à couclier, derrière la psyché, et notre intimité s'établit bientôt là sans conteste. 11 é'.ait pourtant assez maussade, et plusieurs fois il égra- ligna la figure des personnes qui voulaient le déloger ; mais il ne prit jamais d'humeur contre moi, et dormait sur mes genoux ou sur le bord de ma robe des heures entièrfs pendant que je lui racontais mes plus belles histoires.

J'eus bientôt à ma disposition les plus beaux jouets du monde, des poupées, des moutons, des ménages, des lits, des chevaux, tout cela couvert d'or fin, de franges, de housses et de paillons; c'étaient les joujoux abandonnés par les infants d'Espagne et déjà à moitié cassés par eux. J'achevai assez lestement leur besogne, car ces jouets me parurent grotesque? et déplaisants. Ils devaient être cepen- dant d'un prix véritable, car mon père sauva deux ou trois petits personnages en bois peint, qu'il apporta à magrand'- mère comme des objets d'art. Elle les conserva quoique temps, et tout le monde les admirait. Mais, a[nès la mort de mon père, je ne sais comment ils retombèrent entre mes mains^ et je me rappelle un petit vieillard en haillons qui devait être d'une vérité et d'une expression remar- qua! des, car i! me faisait peur. Cette habile représentation d'un pauvre vieux mendiant tout décharné et tendant la main s'était-elle glissée par hasard parmi les brillanls hochets des infants d'Espagne? C'est toujours un étrange jouet dans les mains d'un fils de roi que la personnilica- tion de la misère, et il y aurait de quoi le faire rétléeliir.

D'ailleurs les jouets ne m'occupèrent pas à Madrid comme à Paris. J'avais changé de milieu. Les objets extérieurs m'absorbaient, et mérne j'y oubliai les contes de l'ees, tant