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HISTOIRE DE MA VIE 195

traditionnel du peuple espagnol, consterné de voir partir ain.si tous les membres de la lamille roy:ilo, au milieu d'une lutte décisive et terriljle avec l'étranger. A Araujuez, le 17 mar.s le peuple, malgré sa haine pour Godoy, avait voulu retenir Charles IV ; à Madrid, le 2 mai, il avait voulu retenir l'infant don François de Paule et la reine d'Étrurio. A Vittoria, le 16 avril, il avait voulu retenir Ferdinand. En toutes ces occasions, il avait essayé de dételer les che- vaux et de garder malgré eux ces princes pusillanimes et insensés qui le méconnaissaient et le fuyaient par crainte les uns des autres ; mais entraînés par la destinée, ils avaient résisté, les uns aux menaces, les autres aux prières du peuple. Où couraient-ils ainsi? A la captivité de Coni- piôgne et de Yalençay.

On pense bien qu'à l'époque où je vis la scène que j'ai rapportée, je ne compris rien à l'incognito effrayé de cette reine fugitive, mais je me suis toujours rappelé sa phy- sionomie sombre, qui semblait trahir à la fois la crainte de rester ot la crainte de partir. C'était bien la situation où son père et sa mère avaient dû se trouvera Aranjuez en présence d'un peuple qui ne voulait ni les garder ni les laisser fuir. La nation espagnole était lasse de ses imbé- ciles souverains ; mais, tels qu'ils étaient, elle les préférait à l'homme de génie qui n'était pas Espagnol. Elle semblait avoir pris pour devise, en tant que nation, le mot énergi- que que Napoléon disait dans un sens plus restreint : « Qu'il faut laver son lincje sale en famille. »

Nous arrivâmes à Madrid dans le coupant de mai ; nous avions tant souffert en route que je ne me rappelle rien df s derniers jours de notre voyage. Pourtant nous atteignîmes notre but sans catastrophe, ce qui est presque miraculeux; car d(\jà l'Espagne était soulevée sur plusieurs points, et partout grondait l'orage prêt à éclater. Nous suivions la ligne protégée par les armées françaises, il est vrai ; mais