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HISTOIRE DE MA VIE 187

était apparemment habitué à de telles rencontres, qui se-_ raient sans doute bien rares aujourd'hui en plein printemps sur les voies de grande communication. Il nous dit que ces animaux n'étaient à craindre qu'en cas de chute, et il nous conduisit au relais sans encombre.

Quant à moi, je n'eus aucune peur, j'avais connu plu- sieurs ours dans mes boîtes de Nuremberg. Je leur avais fait dévorer certains personnages malfaisants de mes romans improvisés, mais ils n'avaient jamais osé attaquer ma bonne princesse aux aventures de laquelle jo m'identifiais certai- nement sans m'en rendre compte.

On ne s'attend pas sa-ns doute à ce que je mette de l'or- dre dans des souvenirs qui datent de si loin. Ils sont trcs- brisés dans ma mémoire, et ce n'est pas ma mère qui eût pu m'aider par la suite à les enchaîner, car elle se souvenait moins que moi. Je dirai seuls ment dans l'ordre où elles me \iendront, les principales circonstances qui m'ont frappée.

Ma mère eut une autre frayeur moins bien fondée, dans une auberge qui avait pourtant fort bonne mine. Je me re- trace ce gîte parce que j'y remarquai pour la première fois ces jolies nattes de paille nuancées de diverses couleurs, qui remplacent les tapis chez les peuples méridionaux. J'étais bien fatiguée, nous voyagions par une chaleur étouffante, et mon premier mouvement fut de me jeter tout do mon long sur la natte en entrant dans la chamlire qui nous était ouverte. Probablement nous avions dcyà eu sur cette terre d'Espagne bouleversée par l'insurrection, des gîtes moins confortables, car ma mère s'écria : « A la bonne heure! voici des chanibres très-propres, et j'espère que nous pourrons dormir. » Mais au bout de quehpies ins- tants, étant sortie dans le corridor, elle fit un giaid cri et rentra précipitanniient. Elle avait vu une large t;;ciie de sang sur le olanchcr, et c'en était assez pour lui faire croire qu'elle était dans un coupe-gorge.