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HISTOIRE DE MA VIE 185

prenait rien aux naïves admirations que ma mère me fair sait partager, et qu'elle disait souvent : « Oh ! mon Dieu, madame Dupin, que vous êtes drôle avec votre petite fille!» Et pourtant je ne me rappelle pas que ma mère m'ait jamais fait une phrase. Je crois qu'elle en eût été bien em- pêchée, car c'est à peine si elle savait écrire à celte époque et elle ne se piquait point d'une vaine et inutile ortho- graphe. Et pourtant elle parlait purement, comme les oi- seaux chantent sans avoir appris à chanter. Elle avait la voix douce et la prononciati»)n distinguée. Ses moindres paioles me charmaient ou me persuadaient.

Comme elle était véj'itablement infirme sous le rapport de la mémoire et n'avait jamais pu enchaîner deux faits dans son esprit, elle s'efforçait de combattre en moi cette infirmité, qui, à bien des égards, a été héréditaire. Aussi me disait-elle à chaque instant : « H faudra le sou- venir de ce que tu vois là, » et chaque fuis qu'elle a pris cette précaution, je me suis souvenue en effet. Ainsi, en voyant les liserons en fleur, elle ms dit : « Respire-les, cela sent le bon miel; et ne les oublie pasi » C'est donc la première révélation de l'odorat que je me rappelle, et par un Hen de souvenirs el de sensations que tout le monde connaît sans pouvoir l'expliquer, je ne respire jamais des fleurs de liseron-vrille sans voir l'endroit des montagnes espagnoles et le bord du chemin oij j'en cueillis pour la première fois.

Mais quel était cet endroit ! Dieu le sait? Je le recon- naîtrais en le voyant. Je crois que c'était du côté de Pan- corbo.

Une autre circonstance que je n'oublierai jamais et qui ÈÙl frappé tout autre enfant est celle-ci : nous étions dans un endroit assez aplani, et non loin des habitations. La nuit était claire, mais de gros arbres bordaient la route et y jetaient par moments beaucoup d'obscurité. J'étais sur le