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HISTOIRE DE MA VIE îg^

existé ailleurs, même par la fensée. Ce qui me serra véri-* tablement le creur pendant les premiers moments du voyage, ce fut la nécessilé de laisser ma poupée dans col appartement désert, où elle devait s'ennuyer si fort.

Le sentiment que les petites filles éprouvent pour leur poupée est véritablement assez bizarre, et je l'ai ressenti si vivement et si longtemps que, sans l'f xpliqucr, je puis ai- sément le définir. Il n'est aucun moment de leur enfance où elles se trompent entièrement sur le genre d'existence de cet être inerte qu'on leur met entre les mains et qui doit développer en elles le sentiment de la maternité, pour ainsi dire avec la vie. Du moins, quant à moi, je ne me souviens pas d'avoir jamais cru que ma poupée fût un être animé; pourtant j'ai ressenti pour certaines de celles que j'ai possé- dées une véritable affection maternelle. Ce n'était pas pré- cisément de l'idolâtrie, quoique l'usage de faire aimer ces sortes de fétiches aux enfants soit un peu sauvage; je ne me rendais pas bien compte de ce que c'était que cette affection, et je crois que si j'eusse pu l'analyser, j'y aurais trouvé quelque chose d'analogue, relativement, à ce que les catholiques fervents éprouvent en face de certaines images de dévotion. Ils savent que l'image n'est pas l'objet même de leur adoration, et pourtant ils se prosternent devant l'i- mage, ils la parent, ils l'encensent, ils lui font des offrandes. Lesanciens n'étaient pas plus idolâtres que nous, quoi qu'un en ait dit. Eu aucun temps les hommes éclairés n'ont adoré ni la statue de Jupiter, ni l'idole de Mammon ; c'est Jupiter et Mammon qu'ils révéraient sous les symboles ex- térieurs. Mais en tout temps, aujourd'hui connue jadis, les esprits incultes ont été. assez empêchés de faire une distinc- tion bien nette entre le dieu et l'image.

Il en est ainsi des enfants en général. Ils sont entre le réel et l'impossible. Ils ont besoin de soigner ou de gronder, de caresser ou de briser ce fétiche d'enfant ou d'animal II u