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ne le sont pas? mais à quiconque a été digne de comprendre Pierret, une semblable supposition paraîtra toujours un outrage à sa mémoire. Il n'était pas assez séduisant pour rendre ma mère infidèle, même par la pensée. 11 était trop consciencieux et trop probe pour ne pas s'éloigner d'elle, s'il eût senti en lui-même le danger de trahir, même mentalement, la confiance dont il était si fier et si jaloux. Par la suite, il épousa la fille d'un général sans fortune, et ils firent très-bon ménage ensemble, cette personne étant estimable et bonne, à ce que j'ai toujours entendu dire à ma mère que j'ai vue en relations affectueuses avec elle.

Quand notre voyage en Espagne fut résolu, ce fut Pierret qui fit tous nos préparatifs. Ce n'était pas une entreprise fort prudente de la part de ma mère, car elle était grosse de sept à huit mois. Elle voulait m'emmener et j'étais encore un personnage assez incommode. Mais mon père annonçait un séjour de quelque temps à Madrid et ma mère avait, je crois, quelque soupçon jaloux. Quel que fût le motif, lie s'obstina à l'aller rejoindre et se laissa séduire, je crois, par l'occasion. La femme d'un fournisseur de l'armée, qu'elle connaissait, partait en poste et lui offrait une place dans sa calèche pour la conduire jusqu'à Madrid.

Cette dame avait pour tout protecteur dans cette occu- rence un petit jockey de douze ans. Nous voici donc en route ensemble, deux femmes dont une enceinte, et deux enfants dont je n'étais pas le plus déraisonnable et le plus l'nsoumis.

Je ne crois pas avoir eu de chagrin en me séparant de ma sœur, qui restait en pension, et de ma cousine Clo- tilde ; comme je ne les voyais pas tous les jours, je ne me faisais pas l'idée de la durée plus ou moins longue d'une séparation que je voyais recommencer toutes les semaines. Je ne regrettai pas non plus l'appartement, quoique ce fût à peu près mon univers et que je n'eusse encore guère