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HISTOIRE DE IVIA VIE 173

Un souvenir, qui date de mes quatre premières années, est celui de ma première émotion musicale. Ma mère avait été voir quelqu'un dans un village près do Paris, je ne sais lequel. L'appartement était très-élevé, et de la fenê:re, étant trop petite poiL- voir le fond de la rue, je ne distinguais que le faîte des maisons environnantes et beau- coup d'étendue du ciel. Nous passâmes là une partie de la journée, mais je ne fis attention à rien, tant j'étais préoc- cupée du son d'un flageolet qui joua tout le temps une foule d'airs qui me parurent admirables. Le son partait d'une des mansardes les plus élevées, et même d'assez loin, car ma mère, à qui je demandai ce que c'était, l'entendait à peine. Pour moi, dont l'ouïe était apparemment plus fine et plus sensible à cette époque, je ne perdais pas une seule modulation de ce petit instrument, si aigu de près, si doux à distance, et j'en étais charmée. Il me semblait l'en- tendre dans un rêve. Le ciel était pur et d'un bleu étin- celant, et ces délicates mélodies semblaient planer sur les toits et se perdre dans le ciel même. Qui sait si ce n'était pas un artiste d'une inspiration supérieure, qui n'avait en ce moment d'autre auditeur attentif que moi ? Ce pou- vait bien être aussi un marmiton qui étudiait l'air de la Monaco ou des Folies d'Espagne. Quoi qu'il en soit, j'éprou- vais d'indicibles jouissances musicales, et j'étais véritable- ment en extase devant cette fenêtre, où, pour la première fois, je comprenais vaguement l'harmonie des choses extérieures, mon âme étant également ravie par la musique et par la beauté du «iel.

H. M.