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170 HISTOIRE DE MA VIE

restés présents. Le jardin était surtout pour moi un lieu de délices, car c'était le seul que je connusse. Ma mère, qui, malgré ce qu'on disait d'elle alors à ma grand'mère, vivait dans une gêne voisine de la pauvreté, et avec une économie et un labeur domestiques dignes d'une femme du peuple, ne me menait pas aux Tuileries étaler des toi- lettes que nous n'avions pas et me maniérer en jouant au cerceau ou à la corde sous les regards des badauds. Nous ne sortions de notre triste réduit que pour aller quelquefois au théâtre, dont ma mère avait le goût prononcé, ainsi que je l'avais déjà, et le plus souvent à Chaillot, oii nous étions toujours reçues à grands cris de joie. Le voyage à pied et le passage par la pompe à feu me contrariaient bien d'abord, mais à peine avais-je mis le pied dans le jardin, que je me croyais dans l'île enchantée de mes contes. Clotilde, qui pouvait s'ébattre là au grand soleil toute la journée, était bien plus fraîche et plus enjouée que moi. Elle me faisait les honneurs de son Éden avec ce bon cœur et cette franche gaieté qui ne l'ont jamais abandonnée. Elle était certes la meilleure de nous deux, la mieux portante et la moins capricieuse : aussi je l'ado- rais en dépit de quelques algarades que je provoquais tou- jours et auxquelles elle répondait par des moqueries qui me mortifiaient beaucoup. Ainsi, quand elle était mécon- tente de moi, elle jouait sur mon nom d'Aurore et m'ap- pelait horreur, injure qui m'exaspérait. Mais pouvais-je bouder longtemps en face d'une charmille verte et d'une terrasse toute bordée de pots de fleurs? C'est là que j'ai vu les premiers fils de la Vierge, tout blancs et brillants au soleil d'automne; ma sœur y était ce jour-là, car ce fut elle qui m'expliqua doclemcnt comnio quoi la sainte Vierge filait elle-même ces jolis fils sur sa quenouille d'ivoire. Je n'osais pas les briser et je me faisais bien petite pour passer dessous.