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8 HISTOIRE DE MA VIE

lasse de violences, ouvrant les yeux sur ses erreurs, regret- tant du passé ce qu'elle avait trop brusquement anéanti, espérant de l'avenir des inspirations meilleures, elle pou- vait, au lieu de se perdre comme un rêve évanoui dans l'anarchie, entrer dans une nouvelle phase avec des hommes nouveaux et des idées purifiées. Bonaparte voulait l'ordre, et il avait raison ; mais qu'il eût appliqué son génie essen- tiellement administrateur à rétablir l'ordre, il le pouvait tout aussi bien sans détruire l'idée et sans étouffer le sen- timent républicain. Il sentait qu'il fallait une religion représentée par un culte et il avait raison. Les instincts religieux ne suffisent pas. Ils étaient plus puissants, depuis que la révolution avait emporté le culte, qu'ils ne l'avaient été en France depuis plusieurs siècles. Jamais, depuis plu- sieurs siècles, la doctrine évangéhque ne s'était plus héroïquement défendue contre les mensonges entassés sur sa poitrine généreuse. Certainement les hommes valaient mieux en 1800 qu'en 1750, quoiqu'ils eussent commis beaucoup d'erreurs et même de crimes. Ils étaient plus éclairés, plus enthousiastes, plus près de l'idéal. Mais ils ne se rendaient pas compte de leur foi. Ils avaient obéi à un tel esprit de réaction, qu'ils avaient oublié que tout ce qu'ils avaient de meilleur dans le cœur et dans l'esprit leur venait de l'Évangile. Ils se croyaient parfois athées ou tout au moins déistes purs, adeptes de la religion de la nattire, dans le moment où ils étaient le plus semblables à des chrétiens primitifs par les sentiments et les actions. Cet état bizarre ne pouvait durer. L'homme ne peut pas se mentir impunément à lui-même pendant longtemps sans que ses croyances se perdent, et un vague instinct du beau, du vrai et du bien n'est pas toute la morale, toute la religion dont l'humanité a besoin. Cet instinct n'est qu'un résultat ies principes dont elle a perdu ou brisé les for- mules, et c'est justement sur ces beaux instincts, mis en