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HISTOIRE DE MA VIE 169

jeux de garçons, et il est certain que ma cousine et moi nous avions l'esprit avide d'émotions viriles. Je me retrace particulièrement un jour d'automne où le dîner étant servi, la nuit s'était faite dans la chambre. Ce n'était pas chez nous, mais à Chaillot, chez ma tante, à ce que je puis croire, car il y avait des rideaux de lit, et chez nous il n'y en avait pas. Nous nous poursuivions l'une l'autre à travers les arbres, c'est-à-dire sous les plis du rideau, Clotilde et moi; l'appartement avait disparu à nos yeux, et nous étions véritablement dans un sombre paysage à l'entrée de la nuit. On nous appelait pour dîner, et nous n'entendions rien. Ma mère vint me prendre dans ses bras pour me porter à table, et je me rappellerai toujours l'étonnement où je fus en voyant les lumières, la table et les objets réels qui m'environnaient. Je sortais positive- ment d'une hallucination complète et il me coûtait d'en sortir si brusquement. Quelquefois, étant à Chaillot, je croyais être chez nous à Paris, et réciproquement. Il me fallait faire souvent un eflfort pour m'assurer du lieu où j'étais, et j'ai vu ma fille enfant subir cette illusion d'une manière très-prononcée.

Je ne crois pas avoir revu cette maison de Chaillot de- puis 4808, car, après le voyage d'Espagne, je n'ai plus quitté Nohant jusqu'après l'époque où mon oncle vendit à l'État sa petite propriété, qui se trouvait sur l'emplace- ment destiné au palais du roi de Rome. Que je me trompe ou non, je placerai ici ce que j'ai à dire de cette maison, qui était alors une véritable maison de campagne, Chaillot n'étant point bâti comme il l'est aujourd'hui.

C'était rhabilalion la plus modeste du monde, je le comprends aujourd'hui que les objets restés dans ma mé- moire m'apparaisscnt avec leur valeur véritable. Mais à l'âge que j'avais alors c'était un paradis. Je pourrais des- siner le plan du local et celui du jardin, tant ils me sont U. 10