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1C8 HISTOIRE DE MA VIE

robe à queue et sa couronne d'or? — Laisse-la tranquille, disait ma mère, je ne peux travailler m repos que quand elle commence ses romans entre quatre chaises, j)

Je me rappelle d'une manière plus nette l'ardeur que je prenais aux jeux qui simulaient une action véritable. J'étais maussade pour commencer. Quand ma sœur ou la fille aînée du vitrier venaient me provoquer aux jeux clas- siques de pied de bœuf ou de main chaude, je n'en trou- vais aucun à mon gré, ou je m'en lassais vite. Ma!s avec ma cousine Clotilde ou les autres entants de moii âge, j'arrivais d'emblée aux jeux qui flattaient ma fantaisie. Nous simulions des batailles, des fuites à travers ces bois qui jouaient un si grand rôle dans mon imagination. Et puis l'une de nous était perdue, les autres la cherchaient et 1 appelaient. Elle était endormie sous un ai-bre, c'est-à- dire sous le canapé. On venait à son aide; l'une de nous était la mère des autres ou le général, car l'impression mili- taire du dehors pénétrait forcément jusque dans notre nid, et plus d'une fois j'ai fait l'empereur et j'ai commandé sur le cliamp de bataille. On mettait en lambeaux les poupées, les bonshommes et les ménages, et il paraît que mon père avait l'imagination aussi jeune que nous, car il ne pou- vait souffrir cette représentation microscopique des scènes d'horreur qu'il voyait à la guerre. Il disait à ma mère : « Je t'en prie, donne un coup do balai au champ de ba- taille de ces enfants; c'est une manie, mais cela me fait mal de voir par lerre ces bras, ces jambes et toutes ces guenilles rouges. »

Nous ne nous rendions pas compte de notre férocité, tant les poupées et les bonshommes souffraient patiem- ment le carnage. Mais en galopant sur nos coursiers ima- ginaires et en frappant de nos sabres invisibles les meubles et les jouets, nous nous laissions emporter à un enthou- siasme qui nous donnait la fièvre. On nous reprochait nos