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HISTOIRE DE iMÂ VIE 167.

les avait sacrifiées à mon usage. Je me rappelle que j'étais encore si petite, que pour me livrer à cet amusement j'étais obligée de monter sur la chaufferette ; alors je pouvais appuyer mes coudes sur 1rs sièges, et je jouais des griffes avec une patience miraculeuse ; mais, tout en cédant ain^i au besoin d'occuper mes mains, besoin qui m'est toujours resté, je ne pensais nullement à la paille des chaises; je composais à haute voix d'interminables contes que ma mère appelait mes romans. Je n'ai aucun souvenir de ces plaisantes compositions, ma mère m'en a parlé mille fois et longtemps avant que j'eusse la pensée d'écrire. Elle les déclarait souverainement ennuyeuses, à cause de leur longueur et du développement que je donnais aux digres- sions. C'est un défaut que j'ai bien conservé, à ce qu'on dit ; car, pour moi, j'avoue que je me rends peu compte de ce que je fais, et que j'ai aujourd'hui, tout comme à quatre ans, un laisser aller invincible dans ce genre de création.

Il paraît que mes histoires étaient une sorte de pastiche de tout ce dont ma petite cervelle était obsédée. Il y avait toujours un canevas dans le goût des contes de fées, et pour personnages principaux, une bonne fée, un bon prince et une belle princesse. Il y avait peu de méchants êtres, et jamais de grands malheurs. Tout s'arrangeait sous l'influence d'une pensée riante et optimiste comme l'enfance. Ce qu'il y avait de curieux, c'était la durée de ces histoires et une sorte de suite, car j'en reprenais le fil là oii il avait été interrompu la veille. Peut-être ma mère, écoulant machinalement et comme malgré elle ces longues divagations, m'aidait-elle à son insu à m'y retrouver. Ma tante se souvient aussi de ces histoires et s'égaye à ce souvenir. Elle se rappelle m'avoir dit souvent: « Eh bien, Aurore, est-ce que ton prince n'est pas encore sorti de la forêt? Ta princesse aura-t-elle bientôt fini de mettre sa