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166 HISTOIRE DE MA VIE

Ma mère avait des idées religieuses que le doute n'ef- fleura jamais, vu qu'elle ne les examina jamais. Elle ne se mettait donc nullement en peine de me préientcr comme vraies ou comme emblématiques les notions de merveil- leux qu'elle me versait à pleines mains, artiste et poëtc qu'elle était elle-même sans le savoir, croyant dans sa religion à tout ce qui était beau et bon, rejetant tout ce qui était sombre et menaçant, et me parlant des trois Grâces et des neuf Muses avec autant de sérieux que des vertus théologales ou des vierges sages.

Que ce soit éducation, insufflation ou prédisposition, il est certain que l'amour du roman s'empara de moi pas- sionnément avant que j'eusse fini d'apprendre à lire. Voici comment:

Je ne comprenais pas encore la lecture des contes de fées, les mots imprimés, même dans le style le plus élé- mentaire, ne m'offraient pas grand sens, et c'est par le récit que j'arrivais à comprendre ce qu'on m'avait fait lire. De mon propre mouvement, je ne lisais pas, j'étais paresseuse par nature et n'ai pu me vaincre qu'avec de grands efforts. Je ne cherchais dans les livres que les images; mais tout ce que j'apprenais par les yeux et par les oreilles entrait en ébullition dans ma petite tête, et j'y rêvais au point de perdre souvent la notion de la réalité et du milieu où je me trouvais. Comme j'avais eu long- temps la manie de jouer au poêle avec le feu, ma mère, qui n'avait pas de servante et que je vois toujours occupée à coudre, ou à soigner le pot-au-feu, ne pouvait se débar- rasser de moi qu'en me retenant souvent dans la prison qu'elle ^n'avait inventée, à savoir, quatre chaises avec une chauff"eret[e sans feu au milieu, pour m'asseoir quand je serais fatiguée, car nous n'avions pas le luxe d'un cous- sin. C'étaient des chaises garnies en paille, et je m'éver- tuais à les dégarnir avec mes ongles* •' *'"ut croire qu'on