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HISTOIRE DE MA VIE 161

qu'elle était fort mal arrangée, cela me fit une peine étrange. Il me sembla qu'on me causait un vif chagrin en- me dégoûtant de l'objet de mon admiration.

Je me souviens qu'une autre fois, comme nous dansions une ronde, cette même enfant chanta :

Nous n'irons plus au bois, Les lauriers sont coupés.

Je n'avais jamais été dans les bois, que je sache, et peut- être n'avais-je jamais vu de lauriers. Mais apparemment je savais ce que c'était, car ces deux petits vers me firent beaucoup rêver. Je me retirai de la danse pour y penser, et je tombai dans une grande mélancolie. Je ne voulus faire part à personne de ma préoccupation, mais j'aurais volontiers pleuré, tant je me sentais triste et privée de ce charmant bois de lauriers où je n'étais entrée en rêve que pour en être aussitôt dépossédée. Explique qui pourra les singularités de l'enfance, mais celle-là fut si marquée chez moi, que je n'en ai jamais perdu l'impression mystérieuse. Toutes les fois qu'on me chanta cette ronde, je sentis la même tristesse me gagner, et je ne l'ai jamais entendu chanter depuis par des enfants sans me retrouver dans la même disposition de regret et de mélancolie. Je vois toujours ce bois avant qu'on y eût porté la cognée, et, dans la réalité, je n'en ai jamais vu d'aussi beau; je le vois jonché de ses lauriers fraîchement coupés et il me semble que j'en veux toujours aux Vandales qui m'en ont bannie pour jamais. Quelle était donc l'idée du poète naïf aui com- mençait ainsi la plus naïve des danses?

Je me rappelle aussi la jolie ronde de Giroflée^ girofla^ que tous les enfants connaissent, et où il est question encore d'un bois mystérieux où l'on va seidclte, et où l'on rencontre le roi, la reine, le diable el Vamour, êtres égale- ment fantastiques pour les enfants. Je ne me souviens pas