Page:Sand - Histoire de ma vie - tome 2.djvu/170

Cette page n’a pas encore été corrigée

160 HISTOIRE DE MA VIE

infinies. L'idée de leur existence m'effrayait, et tout aus- sitôt l'idée de leur douleur me pénétrait de regret et d'af- fection.

En somme, je veux qu'on donne du merveilleux à l'enfant tant qu'il l'aime et le cherche, et qu'on le lui laisse perdre de lui-même sans prolonger systématique- ment son erreur dès que le merveilleux n'étant plus aon aliment naturel, il s'en dégoûte, et vous avertit par ses questions et ses doutes qu'il veut entrer dans le. monde de la réalité.

Ni Clotilde ni moi n'avons gardé aucun souvenir du plus ou moins de peine que nous eûmes pour apprendre à lire. Nos mères nous ont dit depuis qu'elles en avaient eu fort peu à nous enseigner; seulenient elles signalaient un fait d'entêtement fort ingénu de ma part. Un jour que je n'étais pas disposée à recevoir ma leçon d'alphabet, j'avais répondu à ma mère : — « Je sais bien dire A, mais je ne sais pas dire B. » Il paraît que ma résistance dura fort longtemps; je nommais toutes les lettres excepté la seconde, et quand on me demandait pourquoi je la passais sous silence, je répondais imperturbablement : « C'est que je ne connais pas le B. »

Le second souvenir que je me retrace de moi-même, et qu'à coup sûr, vu son peu d'importance, personne n'eût songé à me rappeler, c'est la robe et le voile blanc que porta la fille aînée du vitrier le jour de sa première com- munion. J'avais alors environ trois ans et demi; nous étions dans la rue Grange-Batelière, au troisième, et le vitrier, qui occupait une boutique en bas, avait plusieurs filles qui venaient jouer avec ma sœur et avec moi. Je ne s:\is plus leurs noms et ne me rappelle spécialement que l'aînée, dont l'habit blanc me parut la plus belle cliose du monde. Je ne pouvais me lasser de l'admirer, et ma mère ayant dit tout d'un coup que son blanc était tout jaune et