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HISTOIRE DE MA VIE 7

et aveugles en apparence : c'est, au contraire, la multipli- cité et la diversité des idées qui les rendent irrésolues, ^paresseuses et défiantes d'elles-niômes. Nous sommes au- jourd'hui dans une crise analogue.

De 1798 à 1802 on fut particulièrement incertain et troublé, et comme dans les temps de scepticisme extrême, par une loi bizarre en apparence, mais très-significative de l'esprit humain, on est porté à croire au merveilleux ; chacun crut sortir de sa perplexité en se remettant du soin de la destinée à l'homme du destin, à l'homme du prodige, comme on l'appelait alors.

Eh bien, l'homme du prodige, l'homme du destin, mal- gré l'intelligence, prodigieuse en effet, qui, plus d'une fois, lui fit accidentellement pressentir et seconder l'ordre de la destinée, ne comprit point le parti qu'il pouvait tirer d'une société ainsi disposée par rapport à la vérité morale. Il l'exploita merveilleusement au profit de sa théorie, qui • était des plus terrestres, puisqu'elle se concentrait dans sa •propre action. Il ne vit pas qu'une nation si profondément remuée par des idées nouvelles était capable de produire quelque chose de plus grand que l'empire d'un seul homme, et que si cet homme eût toujours bien senti dans son cœur l'appel de la Providence, il eût pu mettre ses hautes facultés d'application au service d'une réforme religieuse qui eût •été l'expression du progrès de la France.

Loin de seconder les instincts généreux qui couvaient épars, mais énergiques, dans le sein de chaque Français de cette époque, il ne fit servir son génie qu'à les refouler et à les anéantir.

Sa grande intelligence fut voilée par un nuage, le jour où il cessa de comprendre que sa mission n'était pas de nous faire retourner en arrière de la Révolution, mais de nous pousser en avant sur toutes les roules.

Ua Révolution en était pourtant arrivée à ce point, où,