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HISTOIRE DE MA VIE; 159

formations jusqu'à l'âge mùr, assiste à l'histoire abrégée ' de la race humaine, laquelle a eu aussi son enfance, son adolescence, sa jeunesse et sa virilité. Eh bien, qu'on se reporte aux temps primitifs de l'humanité, on y voit toutes les notions humaines prendre la forme du merveilleux, et l'histoire, la science naissante, la philosophie et la reli- gion écrites en symboles que la raison moder"^ traduit ou interprète. La poésie, la fable même sont la vérité, la réalité relatives de ces temps primitifs. 11 est donc dans la loi éternelle que l'homme ait sa véritable enfance, comme l'humanité a eu la sienne, comme l'ont encore les popu- lations que notre civilisation n'a fait qu'effleurer. Le sau- vage vit dans le merveilleux : ce n'est ni un idiot, ni un fou, ni une brute, c'est un poëte et un enfant. Il ne pro- cède que par poëmes et par chants comme nos anciens, à qui le vers semblait être plus naturel que la prose, et l'ode que le discours.

L'enfance est donc l'âge des chansons, et on ne saurait trop lui en donner. La fable, qui n'est qu'un symbole, est la meilleure forme pour introduire en lui le sentiment du beau et du poétique, qui est la première manifestation du bon et du vrai.

Les fables de La Fontaine sont trop fortes et trop pro- fondes pour le premier âge. Elles sont pleines d'excellentes leçons de morale, mais il ne faudrait pas de formules de morale au premier âge; c'est l'engager dans un labyrinthe d'idées oii il s'égare, parce que toute morale implique une idée de société, et que l'enfant ne peut ee faire aucune idée de la société. J'aime mieux pour lui les notions reli- gieuses sous forme de poésie et de sentiment. Quand ma mère me disait qu'en lui désobéissant je faiï^ais pleurer la sainte Vierge et les anges dans le ciel, mon imagination était vivement frappée. Ces êtres merveilleux et toutes ces larmes provoquaient en moi une terreur et une tendresse