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154 HISTOIRE DE MA VIE

de La Fontaine, et je les sus presque toutes, que c'était encore lettres closes pour moi. J'étais si lasse de les réciter que je fis, je crois, tout mon possible pour ne les com- prendre que fort tard, et ce ne lut que vers l'âge de quinze ou seize ans que je m'aperçus de leur beauté.

On avait l'habitude autrefois de remplir la mémoire des enfants d'une foule de richesses au-dessus de leur portée. Ce n'est pas le petit travail qu'on leur impose que je blâme. Rousseau, en le retranchant tout à fait dans VÉ- mile, risque de laisser le cerveau de son élève s'épaissir au point de n'être plus capable d'apprendre ce qu'il lui ré- serve pour un âge avancé. Il est bon d'habituer l'enfance d'aussi bonne heure que possible à un exercice modéré mais quotidien des diverses facultés de l'esprit. Mais on se hâte trop de lui servir des choses exquises. Il n'existe point de littérature à l'usage des petits enfants. Tous les jolis vers qu'on a faits en leur honneur sont maniérés et farcis de mots qui ne sont point de leur vocabulaire. Il n'y a guère que les chansons des berceuses qui parlent réellement à leur imagination. Les premiers vers que j'aie enten- dus sont ceux-ci, que tout le monde connaît sans doute, et que ma mère me chantait de la voix la plus fraîche et la plus douce qui se puisse entendre :

Allons dans la grange

Voir la poule blanche Qui pond un bel œuf d'argent Pour ce cher petit enfant.

La rime n'est pas riche, mais je n'y tenais guère, et j'étais vivement impressionnée par cette poule blanche et par cet œuf d'argent que l'un me promettait tous les soirs, et que je ne songeais jamais à demander le lendemain ma- tin. La promesse revenait toujours, et l'espérance naïve revenait avec elle. Ami lecteur, t'en souviens-tu'? Car à loi