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HISTOIRE DE MA VIE 153

je me souviens aussi que le vol des mouches et leur bour- donnement m'occupaient beaucoup, et que je voyais sou- vent les objets doubles, circonstance qu'il m'est impossible d'expliquer, et que plusieurs personnes m'ont d't avoir éprouvée aussi dans la première enfance. C'est surcoût la flamme des bougies qui prenait cet aspect devant mes yeux, et je me rendais compte de l'illusion sans pouvoir m'y soustraire. Il me semble même que cette illusion était un des pâles amusements de ma captivité dans le berceau el celte vie du berceau m'apparaît extraordinairement lon- gue et plongée dans un mol ennui.

Ma mère s'occupa de fort bonne heure de me dévelop- per, et mon cerveau ne fit aucune résistance, mais il ne devança rien; il eût pu être très-tardif si on l'eût laissé tranquille. Je marchais à dix mois, je parlai assez tard, mais une fois que j'eus commencé à dire quelques mots, j'appris tous les mots très-vite, et à quatre ans je savais très-bien lire, ainsi que ma cousine Clotilde, qui fut enseignée comme moi par nos deux mères alternativement. On nous apprenait aussi des prières, et je me souviens que je les récitais sans broncher d'un bout à l'autre et sans y rien comprendre, excepté ces mots qu'on nous faisait dire quand nous avions la tête sur le même oreiller : « Mon dieu, je vous donne mon cœur. » Je ne sais pourquoi je comprenais cela plus que le reste, car il y a beaucoup de métaphysique dans ce peu de paroles, mais, enfin, je le comprenais, et c'était le seul endroit de ma prière où j'eusse une idée de Dieu et de moi-même.

Quant au Palcr, au Credo et à VAve Maria, que je savais Irès-bien en français, excepté donnez-nous notre, pain de chaque jour, j'aurais aussi bien pu les réciter en latin comme un perroquet, ils n'eussent pas été plus inintelli- gibles pour moi.

On nous exerçait aussi à apprendre par cœur les fables