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6 HISTOIRE DE MA VIE

Non, il n'est pas vrai que la majorité des Français itl indifférente à ce grand problème, avoir une religion ou n'en pas avoir : Être ou ne ^'«s être, comme dit Hamlet, sus- pendu enire la vie et la mort dans une angoisse suprême. Il est bien certain qu'on salua avec indififérence le cortège romain reprenant possession de la France par décret du premier consul. On était comme ébloui par la surprise, comme paralysé par l'imprévu. On n'avait pas encore eu le temps de se demander si l'on combattrait en soi l'idée horrible du néant par un retour à la religion du passé, ou par la discussion de quelque grande hérésie, ou par la lumière que le temps et la réflexion apportent dans des situations aussi graves. On vit le fantôme sortir de la tombe et on le laissa passer. On était las de toute espèce de guerre, cela est vrai : mais on n'était pas abruti par la fatigue au point de renoncer au gouvernement de sa propre pensée. Aussi chacun garda-t-il en soi-même le droit de croire, de nier ou de chercher. Les choses restèrent à cet égard absolument dans le même état. La religion catho- lique ne fit pas une seule conversion, et elle eut ce triste et froid triomphe d'habituer les Français à ne plus s'occu- per d'elle d'une manière sérieuse.

Ces derniers jours qui séparent la République de l'Empire ne montrent-ils pas cependant que, si la cause du progrès n'était pas gagnée, du moins elle avait jeté déjà ses racines dans des esprits que leur n)iiieu social eût dû rendre hos- tiles à ces tentatives de nivellement?

Non certes, ce moment que l'on nous dépeint comme une phase d'abattement et d'impuissance à l'endroit des idées n'était pas ce qu'il nous paraît aujourd'hui à travers le triomphe de l'idée personnelle de Bonaparte. 11 y avait encore des éléments de vie extraordinaires, comme il y en a dans les épcjues de dissolution et de renouvellement. Ce n'est pas l'absence d'idées qui fait ces époques oisives