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HISTOIRE DE MA VIE 149

fait sentinelle jusqu'à ce qu'il nous soit arrivé main-forte pour nous remettre sur pied, c'est-à-dire pendant trois' heures. Bientôt les chevaux nous ont manqué : ensuite les chemins sont devenus affreux. Arrivés au bord de la mer, le vent s'est élevé contre nous, et nous avons pensé cha- virer dans la lagune. Enfin nous voici dans Venise la belle, oîi je n'ai encore vu que de l'eau fort laide dans les rues et bu que de fort mauvais vin à la table de Duroc. Depuis Paris voici la première nuit que je vais passer dans mon lit. L'empereur ne passera que huit jours ici. Je n'ai pas le temps de t'en dire davantage. Je t'aime, tu es ma vie, mon âme, mon Dieu, mon tout.

Milan, 11 décembre 1807.

Celte date doit te dire, chère amie, que je pense à toi doublement s'il est possible, puisque je suis dans un lieu si plein des souvenirs de notre amour, de mes douleurs, de mes tourments et de mes joies. Ah! que d'émotions j'ai éprouvées en parcourant les jardins voisins du cours . Elles n'étaient pas toutes agréables, mais ce qui les do- mine toutes, c'est mon amour pour toi, c'est mon impa- tience de me retrouver dans tes bras. Nous serons bien cer- tainement à Paris à la fin du mois. Il est impossible de s'ennuyer plus que je ne fais ici : j'ai des fêtes et des cérémonies par-dessus la tête. Tous mes camarades en disent presque autant, encore n'ont- ils pas d'aussi puis- sants motifs que moi pour désirer d'en finir avec toute? ces comédies. L'air est appesanti pour moi de grandeurs, de dignités, de roideur et d'ennui. Le prince est malade, et par celte raison nous devancerons, j'espère, le retour de l'empereur, et je vais bientôt te retrouver, toujours mon ange, mon diable et ma divinité. Si je ne trouve pas de lettre de toi à Turin, je te tirerai tes petites oreilles.