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HISTOIRE DE Ml VIE 143

que je me bats, que j'accepte une récompense et que j'as- pire à avoir un régiment, parce qu'alors tu ne me quitteras plus et que nous aurons un intérieur à nous, aussi tran- quille, aussi simple, aussi intime que nous le souhaitons. Et puis, quand je mettrais un peu d'amour-propre à te montrer quelquefois heureuse et brillante à mon bras, pour fe venger des sots dédains de certaines gens à qui notre petit ménage faisait tant de pitié, oîi serait le mal ? Je serai fier, je l'avoue, d'avoir été, moi seul, l'artisan de notre for- tune et de n'avoir dû qu'à mon courage, à mon amour pour la patrie, ce que d'autres n'ont dû qu'à la faveur, à l'intrigue ou à la chimère de la naissance. J'en sais qui sont quelque chose grâce au nom ou à la galanterie de leurs femmes. Ma femme, à moi, aura d'autres titres : son amour fidèle et le mérite de son époux.

Yoilà la belle saison revenue. Que fais-tu, chère amie? Ah ! que l'aspect d'une belle prairie ou d'un bois prêt à verdir remplit mon âme de souvenirs tristes et délicieux ! Aux bords du Rhin, l'année dernière, quels doux moments je passais auprès de toi ! Trop courts instants de bonheur, de combien de regrets vous êtes suivis ! A Marienwerder je me suis trouvé aux bords de la Vistule, seul, en proie à mes chagi'ins, le cœur dévoré de tristesse et d'inquiélude, je voyais tout renaître dans la nature, et mon âme était fermée au sentiment du bonheur. J'étais dans un endroit pareil à celui où tu avais si peur, près de Coblentz, où nous nous assîmes sur l'herbe et où je te pressais sur mon cœur pour te rassurer : je me suis senti tout embrasé de ton souvenir, j'errais comme un fou, je te cherchais, je t'appelais en vain. Je me suis enfin assis fatigué et brisé de douleur, et au lieu de ma Sophie, je n'ai trouvé sur ces tristes ri- vages que la solitude, l'inquiétude et la jalousie. Oui, la jilousie, je l'avoue; moi aussi, de loin, je suis obsédé do fantômes, mais je ne t'en parle pas, de peur de t'offenser;