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HISTOIRE DE MA VIE 141

mortel, m'exposer à la douleur de lire cette lettre affreuse pendant quinze jours peut-être avant d'en avoir reçu une autre qui me rassure et me console ! Me voilà forcé de re- mercier Dieu d'avoir été longtemps privé de tes nouvelles ! mon amie, abjure ces horribles pensées, ces injustes soupçons. Est-il possible que tu doutes de moi? Le plus sensible reproche que tu puisses me faire, c'est de me dire que je ne me souviens pas que Caroline existe, et que tu es effrayée en pensant à l'avenir de cette enfant. En quoi ai-je pu mériter ces doutes injurieux? Ai-je un seul moment cessé de la regarder comme ma fille ? Ai-je fait, dans mes soins et dans mes caresses, la moindre différence entre elle et nos autres enfants? Depuis le jour où je t'ai vue pour la première fois, ai-je un moment cessé de t'adorer; d'aimer tout ce qui t'appartient, ta fille, ta sœur, tout ce que tu aimes? Tu m'accables de reproches comme si je t'abandonnais pour le seul plaisir de courir le monde. Je te jure sur Ihonneur et sur l'amour que je n'ai point demandé d'avancement, que le grand-duc m'a appelé auprès de lui sans que je me dou- tasse qu'il en eût la moindre idée, qu'enfin j'ai vu s'éloi- gner avec un profond chagrin le jour qui devait nous réunir. Te dirai-je tout? J'ai failli refuser, me sentant sans courage devant un nouveau retard à mon retour près de loi. Mais, chère femme, aurais-je rempli mon devoir envers toi, envers ma mère, qui a sacrifié son aisance à ma carrière militaire, envers nos enfants, nos trois enfants i, qui auront bientôt besoin des ressources et de la considération de leur père, si j'avais rejeté la fortune qui venait d'elle-même me chercher I Mon ambition ! dis-tu. Moi, de l'ambition ! Si j'étais moins triste, tu me ferais rire avec ce mot-là. Ahl je n'en ai qu'une depuis que je te connais, c'est de réparer

1. Les trois enfants c'était Caroline, moi et un fils né en 1806, et qui n'a pas vécu. Je n'en ai aucun souvenir,