Page:Sand - Histoire de ma vie - tome 2.djvu/15

Cette page n’a pas encore été corrigée

HISTOIRE DE MA VIE S

autre chose qu'une alliance politique et constitution- nelle.

Mais si jamais il y a eu dans notre histoire, depuis un siècle, un moment où il eût été possible de soulever avec fruit cette grande question et de la porter devant le jury véritable de l'opinion, c'est précisément à l'époque où Bo- naparte négocia le concordat. La Révolution avait tout brisé, la philosophie avait tout remis en question. L'anar- r.hie, l'immoralité du Directoire avaient déjà fait sentir à toute âme saine et honnête que si la jépudiation d'un faux principe religieux est Itgilime, l'absence de toute religion est une situation monstrueuse et un état de maladie mortelle.

Et qu'on ne dise pas que les esprits étaient tombés dans une sorte de stupeur qui ne leur permettait pas de s'in- terroger et de se connaître. En cùt-il été ainsi, c'eût été une raison de plus pour que le législateur leur donnât le temps de se revoir et de se consulter, au lieu de les frap- per d'une stupeur nouvelle en leur remettant sous les yeux le spectre du passé. Mais cela n'est pas vrai. Il y a des mensonges historiques que chacun répète sans les avoii approfondis, et j'en demande pardon à M. Thiers : il nous trompe parce qu'il se trompe lui-même quand il affirme que la majorité des Français accepta le concordat avec joie et que Bonaparte eut en cette circonstance plus d'esprit, d'à-propos et d'habileté que tout le monde. En cela M. Thiers (je présume que ce rapprochement ne le fâchera point) voit et pense comme Bonaparte : il croit qu'une religion de l'État est un moyen indispensable de gouvernement; mais il ne croit point à cette religion, et il n'eût pu s'age- nouiller de bonne foi le jour où, pour la première fois depuis dix ans, un prélat orthodoxe éleva ses mains sur la tête des gouvernants inclinés dans la cathédrale de Paris. Il suffît de dire : C'est un moyen, pour prouver qu'on ne res- pecte point la religion, qui doit être un but.