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i32 HISTOIRE DE MA VIE

des premiers à trahir la gloire de l'armée française dans la personne de l'empereur. Il est certain que dans la cam- pagne que nous venons d'esquisser il se montra grand homme de guerre. On a vu que mon père le jugeait légè- rement en temps de paix, mais sérieusement ailleurs. L'empereur avait-il une méfiance, une prévention secrète contre Dupont? Il devait en être ainsi, ou bien Dupont aimait à jouer le rôle de mécontent, 11 est bien certain que les plaintes de mon père dant- la lettre qu'on vient de lire sont inspirées par un sentiment collectif. Il n'était pas, quant à lui, un personnage assez important pour se croire l'objet d'une inimitié particulière. Je ne sais pas quels sont ces courtisans, cette valetaille militaire contre laquelle mon père regimbe avec tant d'amertume. Comme il avait le caractère le plus bienveillant et le plus généreux qui se puisse rencontrer, il faut croire qu'il y avait dans ses plain- tes quelque chose de fondé.

On sait d'ailleurs combien d'inimitiés, de rivalités et de colères l'empereur eut à contenir durant cette campagne, quelles fautes commit Murât par audace et par présomp- tion, quelles indignations furent soulevées dans l'âme de Ney à ce propos. Qu'on se reporte à l'histoire, on trouvera sûrement la clef de celte douleur que mon père nourrit sur les champs de bataille, et qui marque un changement bien notable dans les dispositions de ceux qui avaient suivi le premier consul avec tant d'ivresse à Marengo. Sans doute elles sont magnifiques, ces campagnes de l'Empire, et nos soldats y sont des héros de cent coudées. Napoléon y est le plus grand général de l'univers. Mais comme l'esprit de cour a déjà défloré les jeunes enthou- siastes de la République! A Marengo, mon père écrivait en posf-scriptum à sa mère : « Ah ! mon Dieu, j'allais ou- i blier de te dire que je suis nommé lieutenant sur le s champ de bataille. » Preuve qu'il n'avait guère pensé à