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non, le tout dans l'espace de six semaines, et nous voyons citer tous les jours dans les rapports des gens qui n'ont rien fait du tout, tandis que nos noms restent dans l'oubli. L'estime et l'affectioi) de nos camarades me consolent. Je revien- drai pauvre diable, mais avec des amis que j'ai faits sur le champ de bataille et qui sont plus sincères que messieurs de la cour. Je t'ennuie de mon humeur noire ; mais à qui puis-je conter mes chagrins si ce n'est à ma Sophie, et qui peut mieux qu'elle les partager et les adoucir ?

Enfin, comme nos soldats sont excédés, que nous nous sommes battus sans relâche pendant huit jours avec les Russes, on nous a renvoyés de la Moravie ici pour prendre quelque repos. J'ai tout perdu à l'affaire d'Haslach '. Je m'en suis indemnisé depuis aux dépens d'un officier des dragons de Latour auquel j'ai fait mettre pied à terre.

On nous promet toujours de fort boUes choses, mais Dieu sait si cela viendra. Ma mère m'écrit que tu ne manque- ras de rien et que je puis être tranquille. A propos ! de quelle nouvelle folie m'as-tu régalé? J'en ai fait rire De- baine aux larmes ; mademoiselle Roumier est ma vieille bonne, à qui ma mère fait une pension pour m'avoir élevé. Klle avait quarante ans quand je vins au monde. Le beau sujet de jalousie ! Je raconte cette folie à tous nos amis.

J'ai vu ce matin Billette. Sa vue, qui me rappelait la rue Meslay, m'a causé une joie infinie. Je l'ai embrassé comme mon meilleur ami, parce que je pouvais lui parler de loi et qu'il pouvait me répondre. Quoiqu'il n'eût pas de

1. Pondant cette glorieuse affaire les Autrichiens s'étaient jetés, à Albeck, sur les bagngcs de la division Dupont, et s'en élaienl emparés, ramassant ainsi, dit M. Thiers, quelques vulgaires trophées, triste consolation d'une défaite essuyée par vingt-cinq mille hommes cuutre six mille.