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122 HISTOIRE DE MA VIE

LETTRE PREMIÈRE

DE MON PÈRE A MA MÈRE Hagiienau, i* vendémiaire an XI\' (22 sept. 1805).

J'arrive avec Decouchy pour faire ici le logement de noire division, comme c'est noire coutume. Nous dînons chez le maréchal Ney. Il nous avertit que nous allons faire vingt lieues sans débrider, passer le Rhin et ne faire halte qu'à Dourlach, où nous devons rencontrer l'ennemi.

Après une marche de cent cinquante lieues, une pareille galopade est capable de nous crever tous. N'importe, c'est l'ordre. En passant le Rhin, nous prenons sous nos ordres le premier régiment de hussards et quatre mille hommes des troupes de l'électeur de Baden. Ainsi nous allons êlre Irès-forts avec cette division de douze mille hommes. Tu entendras parler de nous. Ah! mon amie, loin de toi, les bagarres et les batailles sont les seules distractions que je puisse goûter, car sans toi les plaisirs me paraissent des motifs de tristesse, et tout ce qui peut rendre les autres inquiets et agités, en les mettant à mon niveau, me les fait paraître plus supportables. Je j"'uis intérieurement des figures renversées de beaucoup de gens très-braves et très- importants en temps de paix. Les routes sont couvertes des voitures de la cour, remplies de pages, de chambellans et de laquais voyageant en bas de soie blancs. Gare les éclaboussures !

Vraiment si je pouvais me réjouir de quelque chose quand je ne te vois pas, je crois que je serais content à l'approche du branle-bas qui se prépare. Ne crains pas d'infidélités, car de longtemps je n'aurai rien à démêler qu'avec le sexe masculin. Messieurs de l'Autriche vont