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116 HISTOIRE DE MA VIE

mettre à celui de ma mère, ce que mon père me fit obser- ver religieusement*.

Quelques temps se passèrent encore cependant avant que ma grand'mère consentît à voir sa belle-fille; mais déjà le bruit se répandait que son fils avait fait un mariage dis- proportionné^ et le refus qu'elle faisait de la recevoir de- vait nécessairement amener des inductions fâcheuses contre ma mère, contre mon père par conséquent. Ma bonne maman fut effrayée du tort que sa répugnance pouvait faire à son fils. Elle reçut la tremblante Sophie, qui la désarma par sa soumission naïve et ses tendres caresses. Le mariage religieux fut célébré sous les yeux de ma grand'mère, après quoi un repas de famille scella officiel- lement l'adoption de ma mère et la mienne.

Je dirai plus tard, en consultant mes propres souvenirs, qui ne peuvent me tromper, l'impression que ces deux femmes si différentes d'habitudes et d'opinions produisaient l'une sur l'autre. Il me suffira de dire, quant à présent, que, de part et d'autre, les procédés furent excellents, que les doux noms de mère et de fille furent échangés, et que si le mariage de mon père fit un petit scandale entre les personnes d'un entourage intime assez restreint, le monde que mon père fréquentait ne s'en occupa nullement et accueillit ma mère sans lui demander compte de ses aïeux ou de sa fortune. Mais elle n'aima jamais le monde et ne fui présentée à la cour de Murât que contrainte et forcée, pour ainsi dire, par les fonctions que mon père remplit plus tard auprès de ce prince.

Ma mère ne se sentit jamais ni humiliée ni honorée de se trouver avec des gens qui eussent pu se croire au-des- sus d'elle. Elle raillait finement l'orgueil des sots, la vanité des parvenus, et, se sentant peuple jusqu'au bout des

1. Je porte toujours celte bague