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HISTOIRE DE MA VIE

souvenir de second ordre, un événement passager qui n’eut point de stabilité, qu’on eut bien lot à considérer comme non avenu.

D’ailleurs il est évident que ces trois actes de la politique de Bonaparte, la paix, le concordat, le consulat à vie, sont les trois aspects d’une même pensée, d’une volonté toute personnelle. Les deux premiers sont la préparation du troisième. Au moyen de la paix, il se concilie la bourgeoisie ; au moyen de la religion, il se concilie l’ancienne noblesse et croit aussi se concilier le respect et la confiance des masses. Ainsi, cette chose salutaire, la paix, cette chose sacrée, la religion, ne sont que des moyens auxquels il a recours pour préparer l’envahissement de la puissance absolue. Bientôt il déchirera forcément les traités et reprendra les armes pour maintenir sa dictature ; bientôt il fera comprendre à l’Église que s’il l’a redoutée un instant, il ne l’a jamais respectée, et qu’elle doit plier devant lui comme le reste.

Ni les corps législatifs ni l’armée ne voulaient de la religion sous forme d’institution politique. La bourgeoisie n’y tenait pas le moins du monde, et si elle avait eu le courage de son opinion, elle l’eût repoussée avec dédain, car c’était elle qui l’avait renversée, et tout ce qu’il y avait d’hommes intelligents dans ses rangs était adepte de Rousseau ou de Voltaire. Mais Bonaparte la réduisit au silence en lui promettant la paix avec l’Europe, c’est-à-dire le développement de l’industrie et la sécurité du commerce. La bourgeoisie fit ce qu’elle a toujours fait depuis, elle manqua de principes et fit taire ses croyances ou ses sympathies en présence de ses intérêts. L’armée fut railleuse et irritée plus ouvertement et plus longtemps. Mais le premier consul savait bien que les intérêts de l’armée ne pouvaient manquer de faire bientôt cause commune avec ceux de la bourgeoisie en cas de paix durable, et qu’en