108 HISTOIRE DE MA VIE
ne penses pas un mot de ce que tu me dis; la solitude et réloignement te grossissent les objets. Mais quoique je soi,^ fort de ma conscience, je n'en suis pas moins doulonreusc- ment affecté de ton langage. Tu me reproches toujours ma mauvaise fortune, comme si j'avais pu la conjurer, comme si je n'avais pas dit et prouvé cent fois que les étals-majors étaient complètement en disgrâce.
11 n'y a là-dessous ni ressorts secrets ni inlrigue cachée contre moi. Jii n'ai pas d'ennemis, je ne suis pas l'objet d'une disgrâce personnelle. Je subis le sort commun à tous ceux qui se trouvent dans la même position que moi, qui n'ont pas six ans de grade dans Tétat-major, et qui n'ont pas été assez heiiireux pour être l'objet d'uneexception, autre- ment dit d'un passe-droit. L'état-major est mort et enterré. On ne pense pas plus à Marengo qu'à s'aller pendre. Los bi- vouacs d'antichambre peuvent seuls entrer en ligne de compte. Quand nous voulons de l'avancement dans notre corps, Duroc nous répond: « Vous ne faites partie de rien; (juiltez vos généraux et rentrez dans la ligne. » C'est ce que j'ai essayé de faire, malgré toi, conviens-en ; mais alors on nous dit dans les bureaux de la guerre que rentrer dans la ligne, c'est un tour de faveur.
Tu me reproches de n'être pas l'objet d'une de ces fa- veurs spéciales qui pleuvent cependant sur notre famille. Que veux-tu que je le réponde? 11 est bien vrai que*** va êlre décoré. N'a-t-il pas gagné cela mieux que moi ? Il est chambellan depuis trois mois, il annonce à merveille, il fait on ne peut mieux son service de salon. Moi, brutal, je n'ai fait que la guerre; est-ce ma faute si cela ne compte plus? ***, qui n'a jamais entendu tirer un coup de canon, est décoré aussi et de plus capitaine. Est-ce ma fuite si je me suis trouvé au milieu des balles et des bouUts? On no nor-s avait pas avertis d'avance que cela nous nuirait un io ir.
