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Ma tante a nié depuis ce dernier fait, et, comme elle était la franchise même, elle l’a nié certainement de bonne foi. Il est possible qu’elle l’ait ignoré ; car, dans cet orage où elles étaient emportées comme deux pauvres petites feuilles qui tournoient sans savoir où elles sont, dans cette confusion de malheurs, d’épouvantes et d’émotions incomprises, si violentes parfois, qu’elles avaient, à certaines époques, tout à fait détruit le sens de la mémoire chez ma mère, il est possible que les deux sœurs se soient perdues de vue pendant un certain temps. Il est possible qu’ensuite Victoire, craignant les reproches de la grand’mère, qui était dévote, et l’effroi de Lucie, qui était prudente et laborieuse, n’ait pas osé avouer à quelles extrémités la misère ou l’imprévoyance de son âge l’avaient réduite. Mais le fait est certain, parce que Victoire, ma mère, me l’a dit, et dans des circonstances que je n’oublierai jamais : je raconterai cela en son lieu, mais je dois prier le lecteur de ne rien préjuger avant ma conclusion.

Je ne sais à quel endroit il arriva à ma mère, sous la Terreur, de chanter une chanson séditieuse contre la république. Le lendemain on vint faire une perquisition chez elle, on y trouva cette chanson manuscrite qui lui avait été donnée par un certain abbé Borel. La chanson était séditieuse en effet ; mais elle n’en avait chanté qu’un seul couplet qui l’était fort peu. Elle fut arrêtée sur-le-champ avec sa sœur Lucie (Dieu sait pourquoi !) et incarcérée d’abord à la prison de la Bourbe, et puis dans une autre, et puis transférée enfin aux Anglaises, où elle était probablement à la même époque que ma grand’mère.

Ainsi deux pauvres petites filles du peuple étaient là, ni plus ni moins que les dames les plus qualifiées de la cour, et de la ville. Mlle Comtat y était aussi, et la supérieure des religieuses anglaises, Mme Canning, s’était intimement liée avec elle. Cette célèbre actrice avait