Page:Sand - Histoire de ma vie - tome 1.djvu/93

Cette page n’a pas encore été corrigée

ternelle qui les avait élevées, et qui était bonne et pieuse. Je ne pense pas que la révolution les ruina. Elles n’avaient rien à perdre, mais elles y souffrirent, comme tout le peuple, de la rareté et de la cherté du pain. Cette grand’mère était royaliste, Dieu sait pourquoi, et entretenait ses deux petites-filles dans l’horreur de la révolution. Le fait est qu’elles n’y comprenaient goutte, et qu’un beau matin on vint prendre l’aînée, qui avait alors quinze ou seize ans et qui s’appelait Sophie-Victoire (et même Antoinette, comme la reine de France), pour l’habiller tout de blanc, la poudrer, la couronner de roses et la mener à l’hôtel de ville. Elle ne savait pas elle-même ce que cela signifiait : mais les notables plébéiens du quartier, tout fraîchement revenus de la Bastille et de Versailles, lui dirent : « Petite citoyenne, tu es la plus jolie fille du district, on va te faire brave, voilà le citoyen Collot-d’Herbois, acteur du Théâtre-Français, qui va t’apprendre un compliment en vers avec les gestes ; voici une couronne de fleurs ; nous te conduirons à l’hôtel de ville, tu présenteras ces fleurs et diras ce compliment aux citoyens Bailly et La Fayette, et tu auras bien mérité de la patrie. »

Victoire s’en fut gaîment remplir son rôle au milieu d’un chœur d’autres jolies filles, moins gracieuses qu’elle apparemment, car elles n’avaient rien à dire ni à présenter aux héros du jour, elles n’étaient là que pour le coup d’œil.

La mère Cloquart (la bonne maman de Victoire) suivit sa petite-fille avec Lucie, la sœur cadette, et toutes deux bien joyeuses et bien fières, se faufilant dans une foule immense, réussirent à entrer à l’hôtel de ville et à voir avec quelle grâce la perle du district débitait son compliment et présentait sa couronne. M. de La Fayette en fut tout ému, et prenant la couronne, il la plaça galamment et paternellement sur la tête de Victoire en lui disant : « Aimable