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et que nous flottions dans un labyrinthe d’erreurs. Les événemens d’hier sont aussi obscurs pour nous que les épopées des temps fabuleux, et c’est d’aujourd’hui seulement que des études sérieuses font pénétrer quelque lumière dans ce chaos.

Alors, quoi d’étonnant dans le vertige qui s’empara de tous les esprits à l’heure de cette inextricable mêlée où la France se précipita en 93 ? Lorsque tout alla par représailles, que chacun fut, de fait ou d’intention, tour à tour victime et bourreau, et qu’entre l’oppression subie et l’oppression exercée il n’y eut pas le temps de la réflexion ou la liberté du choix, comment la passion eût-elle pu s’abstraire dans l’action, et l’impartialité dicter des arrêts tranquilles ? Des ames passionnées furent jugées par des ames passionnées, et le genre humain s’écria comme au temps des vieux hussites : « C’est aujourd’hui le temps du deuil, du zèle et de la fureur ».

Quelle foi eût-il donc fallu pour se résoudre joyeusement à être, soit à tort, soit à raison, le martyr du principe ? L’être à tort, par suite d’une de ces fatales méprises que la tourmente rend inévitables, était encore le plus difficile à accepter ; car la foi manquait de lumière suffisante et l’atmosphère sociale était trop troublée pour que le soleil s’y montrât à la conscience individuelle. Toutes les classes de la société étaient pourtant éclairées de ce soleil révolutionnaire jusqu’au jour des états généraux. Marie-Antoinette, la première tête de la contre-révolution de 92, était révolutionnaire dans son intérieur, et pour son profit personnel, en 88, à Trianon, comme Isabelle l’est aujourd’hui sur le trône d’Espagne, comme le serait Victoria d’Angleterre, si elle était forcée de choisir entre l’absolutisme et sa liberté individuelle. La liberté ! tous l’appelaient, tous la voulaient avec passion, avec fureur. Les rois la demandaient pour eux-mêmes aussi bien que le peuple.