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Elle échoua, cette philosophie, devant les expiations révolutionnaires, et les heureux du passé n’en gardèrent que l’art de savoir monter avec grâce sur l’échafaud, ce qui est beaucoup, j’en conviens ; mais ce qui les aida à montrer cette dernière vaillance, ce fut le profond dégoût d’une vie où ils ne voyaient plus le moyen de s’amuser, et l’effroi d’un état social où il fallait admettre, au moins en principe, le droit de tous au bien-être et au loisir.

Avant d’aller plus loin, je parlerai d’une illustration qui était dans la famille de M. Dupin, illustration vraie et légitime, mais dont ni mon grand-père ni moi, n’avons à revendiquer l’honneur et le profit intellectuel. Cette illustration, c’était Mme Dupin de Chenonceaux, à laquelle je ne tiens en rien par le sang, puisqu’elle était seconde femme de M. Dupin, le fermier-général, et par conséquent belle-mère de M. Dupin de Francueil. Ce n’est pas une raison pour que je n’en parle pas. Je dois d’autant plus le faire que, malgré la réputation d’esprit et de charme dont elle a joui, et les éloges que lui ont accordés ses contemporains, cette femme remarquable n’a jamais voulu occuper dans la république des lettres sérieuses la place qu’elle méritait.

Elle était Mlle de Fontaines, et passa pour être la fille de Samuel Bernard, du moins Jean-Jacques Rousseau le rapporte. Elle apporta une dot considérable à M. Dupin ; je ne me souviens plus lequel des deux possédait en propre la terre de Chenonceaux, mais il est certain qu’à eux deux ils réalisèrent une immense fortune. Ils avaient pour pied à terre à Paris l’hôtel Lambert, et pouvaient se piquer d’occuper tour à tour deux des plus belles résidences du monde.

On sait comment Jean-Jacques Rousseau devint secrétaire de M. Dupin, et habitua Chenonceaux avec eux, comment il devint amoureux de Mme Dupin, qui était belle comme un ange, et comment il risqua imprudemment une décla-