Page:Sand - Histoire de ma vie - tome 1.djvu/52

Cette page n’a pas encore été corrigée

Aurore se retira dans un couvent : c’était l’usage quand on était jeune fille ou jeune veuve, sans parents pour vous piloter à travers le monde. On s’y installait paisiblement, avec une certaine élégance, on y recevait des visites, on en sortait le matin, le soir même, avec un chaperon convenable. C’était une sorte de précaution contre la calomnie, une affaire d’étiquette et de goût.

Mais pour ma grand’mère, qui avait des goûts sérieux et des habitudes d’ordre, cette retraite fut utile et précieuse. Elle y lut prodigieusement, et entassa des volumes d’extraits et de citations que je possède encore, et qui me sont un témoignage de la solidité de son esprit et du bon emploi de son temps. Sa mère ne lui avait laissé que quelques hardes, deux ou trois portraits de famille, celui d’Aurore de Kœnigsmark entre autres, singulièrement logé chez elle par le maréchal de Saxe, beaucoup de madrigaux et de pièces de vers inédits de ses amis littéraires (lesquels vers inédits méritaient bien de l’être), enfin le cachet du maréchal et sa tabatière, que j’ai encore et qui sont d’un très joli travail. Quant à sa maison, à son théâtre et à tout son luxe de femme charmante, il est à croire que les créanciers se tenaient prêts à fondre dessus, mais que, jusqu’à l’heure sereine et insouciante de sa fin, la dame avait trop compté sur leur bonne éducation pour s’en tourmenter. Les créanciers de ce temps-là étaient en effet fort bien élevés. Ma grand’mère n’eut pas le moindre désagrément à subir de leur part ; mais elle se trouva réduite à une petite pension de la Dauphine, qui même manqua tout d’un coup un beau jour. Ce fut à cette occasion qu’elle écrivit à Voltaire et qu’il lui répondit une lettre charmante, dont elle se servit auprès de la duchesse de Choiseul[1].

  1. Voici la lettre de ma grand’mère, et la réponse : À. M. de Voltaire, 24 août 1768. « C’est au chantre de Fontenoi que la fille du maréchal de Saxe