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HISTOIRE DE MA VIE

jardin. Elles ne s’écartaient pas beaucoup de la maison, et elles élisaient leur domicile de préférence sur la cime d’un grand sapin. Elles étaient longuettes, lisses et fraîches. Tous les jours, comme c’était la belle saison, et que nous mangions en plein air, elles descendaient à tire d’ailes sur notre table, et se tenaient autour de nous comme d’aimables convives, tantôt sur notre épaule, tantôt volant au devant du domestique qui apportait les fruits, pour les goûter sur l’assiette avant nous.

Malgré leur confiance en nous tous, elles ne se laissaient prendre et retenir que par moi, et à quelque moment que ce fût de la journée, elles descendaient du haut de leur arbre à mon appel, qu’elles connaissaient fort bien et ne confondaient jamais avec celui des autres personnes. Ce fut une grande surprise pour un de mes amis qui arrivait de Paris que de m’entendre appeler des oiseaux perdus dans les hautes branches, et de les voir accourir immédiatement. Je venais de parier avec lui que je les ferais obéir, et comme il n’avait pas assisté à leur éducation, il crut un instant à quelque diablerie.

J’ai eu aussi un rouge-gorge qui, pour l’intelligence et la mémoire, était un être prodigieux ; un milan royal, qui était une bête féroce pour tout le monde, et qui vivait avec moi dans de tels rapports d’intimité qu’il se perchait sur le bord du berceau de mon fils, et, de son grand bec, tranchant comme un rasoir, il enlevait délicatement et avec un petit cri tendre et coquet les mouches qui se posaient sur le visage de l’enfant. Il y mettait tant d’adresse et de précaution qu’il ne le réveilla jamais. Ce monsieur était pourtant d’une telle force et d’une telle volonté qu’il s’envola un jour après avoir roulé sous lui et brisé une cage énorme où on l’avait mis, parce qu’il devenait dangereux pour les personnes qui lui déplaisaient. Il n’y avait point de chaîne