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activité dans un mois, se sera le comité de sûreté générale qui décidera du sort des détenus, d’après les tableaux des sections. Chacun dit sa nouvelle, vraie ou fausse…

Je fais bien aussi, en me couchant, des réflexions sur notre sort, ma bonne mère, mais je ne raisonne pas de même que toi. Tu dis que plus tu avances, plus ton espoir s’éloigne. Il est constant que toute souffrance a un terme ; donc, plus nous avançons, plus nous approchons de ce terme désiré. Si nous regrettons les jours heureux, nous devons nous réjouir des jours malheureux qui se sont passés et les regarder comme des médecines avalées… Ah ! que le médecin qui t’enverrait à Passy ferait deux belles cures ! qu’il guérirait bien les blessures profondes qui nous sont faites depuis six mois !… J’ai été ce soir me promener le long de la rivière en avançant vers Meudon, c’est délicieux. Des coteaux couverts d’arbres et de charmantes maisons de campagne bornent l’horizon. De quel côté que vous regardiez, votre œil est charmé ; d’un côté Paris, qui vous présente ses édifices les plus majestueux, de l’autre, les campagnes les plus riantes. Que je te regrette dans mes promenades ! Ces jouissances sont bien imparfaites goûtées loin de toi.

Je suis revenu par Auteuil. J’ai demandé où était la maison de Boileau. Tout le monde la connaît. Elle passe pour la plus ancienne. Cette maison est habitée aujourd’hui par un extravagant qui ne l’a pas respectée. Il l’a fait reblanchir, lui a donné une forme toute neuve et n’a pas manqué de détruire ces buis, ces ifs tondus, palissés par Antoine. Il a fait un jardin anglais de ces allées sous lesquelles Boileau composait, sous lesquelles se rassemblaient les génies de la France, d’Aguesseau, Lamoignon, Racine, Molière, La Fontaine ! J’ai pourtant retrouvé une seule allée de ce temps-là, qu’on a épargnée par hasard. C’est là qu’il méditait peut-être de préférence, c’est là