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matin, à notre rendez-vous sur la terrasse[1], si j’eusse été un peu plus diaphane, ils m’auraient emporté jusqu’à Paris, et je leur en aurais su bon gré, je t’assure. Si jamais il m’était permis d’aller te voir, les trente-deux vents ne seraient que trente-deux tortues auprès de moi. Oh ! qu’il y a déjà longtemps, ma bonne mère, que je ne L’ai embrassée ! Le travail peut bien faire oublier l’ennui et la solitude ; mais rien au monde n’est capable de me consoler de la privation de te voir. C’est un ver rongeur qui empoisonne toute espèce de satisfaction, même la vue de ces bois charmants, de ces longues allées d’un vert tendre éclairées par le soleil, ou de ces bois plus sombres dont les troncs sont garnis de mousse et les pieds d’une fraîche pelouse. Je m’y promène, j’y sens un premier mouvement de plaisir, mais aussitôt je rencontre une allée dans laquelle je me suis promené avec toi, et me voilà redevenu aussi triste qu’auparavant. Comme je n’ai pas besoin de souvenirs pour penser à toi, même lorsque je jouis de quelque beau spectacle de la nature, j’en jouis tristement.

Mon mal de tête n’a pas eu de suite. L’air de la campagne est on ne peut pas plus sain, et je n’ai plus entendu parler de mes migraines depuis que je suis ici ; je suis très-las. Je vais peut-être encore rêver, comme la nuit dernière, que je suis avec toi. Cela était bien doux ; mais le réveil vient et le bonheur cesse.

Adieu, ma chère et tendre mère, je t’embrasse de toute mon âme.

Maurice.
  1. Ils étaient convenus, comme on l’a vu dans une lettre précédente, de regarder le dôme du Panthéon à la même heure. Ils appelaient cela leur rendez-vous.