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LETTRES DE 1794


LETTRE PREMIÈRE


(Sans date.)


Exilé ! exilé à quinze ans, et pour quel crime ? Ah ! si j’avais pu prévoir qu’on prendrait cette mesure contre les parents des détenus, je me serais fait mettre en prison avec toi. Être séparé de toi, ne plus te voir ! oh ! oui, c’est bien l’exil ! Ma bonne mère, prends courage si tu peux ; pour moi, je n’en peux plus ; j’ai tant pleuré que je ne vois plus clair. J’étais comme abasourdi en sortant de Paris, je ne savais pas où j’allais, et, sans le citoyen Deschartres, qui me traînait par le bras, je me serais couché par terre en sortant de la porte Maillot. Je n’ose pas t’en écrire davantage, j’ai peur que ma lettre ne passe pas. Qu’avons-nous fait pour être si malheureux ? Il faudrait que j’eusse commis un grand crime pour mériter de ne plus te voir, et je n’ai rien fait, mon Dieu ! Ma mère, ma mère, rendez-moi bientôt ma mère !


Ici il y a une lacune. Ces premières lettres étaient sans doute les plus déchirantes, les plus passionnées. Peut-être contenaient-elles quelques plaintes contre le gouvernement révolutionnaire, et, dans la crainte des conséquences, ma grand’mère les aura brûlées aussitôt après les avoir lues.