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Mais quoi ! j’étais mécontent de moi-même. Le passé, avec lequel je voulais rompre, me poursuivait comme un mauvais rêve. Je ne pouvais plus dormir ; j’avais trop veillé, trop couru, trop cherché dans la vie des autres. Je ne gouvernais plus la mienne. Je ne pouvais contraindre ma volonté à être froide et calme comme il convenait à mes nouvelles attributions. Je voyageais en songe, je traversais des montagnes, j’enlevais des enfants qu’on me reprenait ; je m’égarais dans des cavernes, j’y étais poursuivi ou j’y poursuivais les autres. J’avais des curiosités insensées, des terreurs effroyables. Je m’éveillais baigné de sueur ou glacé d’effroi. Je me désespérais, j’avais un sommeil de parricide, et pourtant je n’avais voulu faire de mal à personne !

Quelquefois je ne voulais pas admettre le témoignage de ma conscience.

— Non, me disais-je, mes intentions ne sont pas sans reproche. Ce n’est pas dans le seul intérêt de Roger que j’ai caché l’autre enfant et que j’ai dérobé le secret de sa mère. J’ai été irrité contre elle, je me suis arrogé le droit de la juger, qui n’appartenait qu’au mari.

Et alors je sentais comme un poids écrasant sur ma poitrine ce mince fragment d’écriture que j’avais pris sur la poitrine de Salcède et que je portais comme lui dans un sachet : Veille sur notre enfant !… Je comprenais la puissance de ce talisman