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Où je vis sa méfiance naturelle, c’est lorsqu’il me présenta à sa jeune épouse. Je dois dire que jamais plus belle personne ne s’était offerte à mon regard : la taille svelte et les formes gracieuses d’une nymphe, des pieds et des mains d’enfant, la figure régulière et sans défaut, une chevelure admirable, la voix harmonieuse et caressante à l’oreille, le sourire angélique, le regard franc et doux. Je vis tout cela d’un clin d’œil et sans être ébloui. J’avais deviné déjà que, si je manifestais le moindre trouble, M. le comte me jetait dehors une heure après. D’un clin d’œil aussi il vit que j’étais solide et à l’abri de toute séduction ; ce fut ma première victoire sur sa défiance.

Marié depuis trois mois, il se disposait à partir avec madame pour visiter sa terre de Flamarande et passer l’été dans le voisinage, chez une amie de sa famille, madame de Montesparre. Je ne sus que je devais l’accompagner que la veille du départ. Je me souviens qu’à ce moment je me permis de lui dire une chose qui me tourmentait. J’avais été mis sur le pied de manger à l’office avec le second valet de chambre et les femmes de madame, tandis que les gens de la cuisine et de l’écurie avaient leur table à part. Les personnes avec qui je mangeais étant fort bien élevées, je n’avais pas à souffrir de leur compagnie ; mais je craignais beaucoup que, dans une maison étrangère médiocrement montée, et telle était celle qu’on pouvait attribuer aux