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d’aller chez la vieille et de lui demander à loger pour un de ses amis qu’il attendait, espérant, à la faveur de cette histoire, la faire causer et savoir quelque chose sur le compte de cette inconnue ; mais la vieille avait été impénétrable et même incorruptible.

Le portrait que le marin faisait de cette jeune inconnue éveilla l’attention de Palmer. Ce pouvait être celui de Thérèse ; mais que faisait-elle et pourquoi se cachait-elle à Porto-Venere ? Sans doute, elle n’y était pas seule ; Laurent devait être caché dans quelque autre coin. Palmer agita en lui-même la question de savoir s’il s’en irait en Chine pour n’être pas témoin de son malheur. Pourtant il prit le parti le plus raisonnable, qui était de savoir à quoi s’en tenir.

Il se fit conduire aussitôt à Porto-Venere et n’eut pas de peine à y découvrir Thérèse, logée et occupée ainsi qu’on le lui avait raconté. L’explication fut vive et franche. Tous deux étaient trop sincères pour se bouder ; aussi tous deux s’avouèrent-ils qu’ils avaient eu beaucoup d’humeur l’un contre l’autre, Palmer pour n’avoir pas été averti par Thérèse du lieu de sa retraite, Thérèse pour n’avoir pas été mieux cherchée et plus tôt retrouvée par Palmer.

— Mon amie, dit celui-ci, vous semblez me reprocher surtout de vous avoir comme abandonnée à un danger. Ce danger, moi, je n’y croyais pas !

— Vous aviez raison, et je vous en remercie. Alors pourquoi étiez-vous triste et comme désespéré en me voyant partir ? et comment se fait-il qu’en arrivant ici, vous n’ayez pas su découvrir où j’étais dès le premier jour ? Vous avez donc supposé que j’étais partie, et qu’il était inutile de me chercher ?

— Écoutez-moi, dit Palmer éludant la question, et vous verrez que j’ai eu, depuis quelques jours, bien des amertumes qui ont pu me faire perdre la tête. Vous comprendrez aussi pourquoi, vous ayant connue toute jeune, et pouvant prétendre à vous épouser, j’ai passé à côté d’un bonheur dont le regret et le rêve ne m’ont jamais quitté. J’étais dès lors l’amant d’une femme qui s’est jouée de moi de mille manières. Je me croyais, je me suis cru, pendant dix ans, en devoir de la relever et de la protéger. Enfin elle a mis le comble à son ingratitude et à sa perfidie, et j’ai pu l’abandonner, l’oublier, et disposer de moi-même. Eh bien, cette femme que je croyais en Angleterre, je l’ai retrouvée à Florence au moment où Laurent devait partir. Abandonnée d’un nouvel amant qui m’avait succédé, elle voulait et comptait me reprendre : tant de fois déjà elle m’avait trouvé généreux ou faible ! Elle m’écrivait une lettre de menaces, et, feignant une jalousie absurde, elle prétendait venir vous insulter en ma présence. Je la savais femme à ne reculer devant aucun scandale, et je ne voulais, pour rien au monde, que vous fussiez seulement témoin de ses fureurs. Je ne pus la décider à ne pas se montrer, qu’en lui promettant d’avoir une explication avec elle le jour même. Elle demeurait précisément dans l’hôtel où nous logions auprès de notre malade, et, quand le voiturin qui devait emmener Laurent arriva devant la porte, elle était là, résolue à faire un esclandre. Son thème odieux et ridicule était de crier, devant tous les gens de l’hôtel et de la rue, que je partageais ma nouvelle maîtresse avec Laurent de Fauvel. Voilà pourquoi je vous fis partir avec lui, et pourquoi je restai, afin d’en finir avec cette folle sans vous compromettre, et sans vous exposer à la voir ou à l’entendre. À présent, ne dites plus que j’ai voulu vous soumettre à une épreuve en vous laissant, seule avec Laurent. J’ai assez souffert de cela, mon Dieu, ne m’accusez pas ! Et, quand je vous ai crue partie avec lui, toutes les furies de l’enfer se sont mises après moi.

— Et voilà ce que je vous reproche, dit Thérèse.

— Ah ! que voulez-vous ! s’écria Palmer, j’ai été si odieusement trompé dans ma vie ! Cette misérable femme avait remué en moi tout un monde d’amertume et de mépris.

— Et ce mépris a rejailli sur moi ?

— Oh ! ne dites pas cela, Thérèse,

— Moi aussi pourtant, reprit-elle, j’ai été bien trompée, et je croyais en vous quand même.

— Ne parlons plus de cela, mon amie, je regrette d’avoir été forcé de vous confier mon passé. Vous allez croire qu’il peut réagir sur mon avenir, et que, comme Laurent, je vous ferai payer les trahisons dont j’ai été abreuvé. Voyons, voyons, ma chère Thérèse, chassons ces tristes pensées. Vous êtes ici dans un endroit