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un nid de pirates. Les maisons, noires et misérables, rongées par l’air salin, s’échelonnent, démesurément hautes, sur le roc inégal. Pas une vitre qui ne soit brisée à ces petites fenêtres, qui semblent des yeux inquiets occupés à guetter une proie à l’horizon. Pas un mur qui ne soit dépouillé de son ciment, tombant en grandes plaques comme des voiles déchirées par la tempête. Pas une ligne d’aplomb dans ces constructions appuyées les unes contre les autres et près de crouler toutes ensemble. Tout cela monte jusqu’à l’extrémité du promontoire, où tout cesse brusquement, et que terminent un vieux fort tronqué et l’aiguille d’un petit clocher planté en vigie en face de l’immensité. Derrière ce tableau, qui forme un plan détaché sur les eaux marines, s’élèvent d’énormes rochers d’une teinte livide, dont la base, irisée par les reflets de la mer, semble plonger dans quelque chose d’indécis et d’impalpable comme la couleur du vide.

C’est de la carrière de marbre de l’île Palmaria, de l’autre côté de l’étroite passe, que Laurent et Thérèse contemplaient cet ensemble pittoresque. Le soleil couchant jetait sur les premiers plans un ton rougeâtre qui confondait en une seule masse, homogène d’aspect, les rochers, les vieux murs et les ruines, à ce point que tout, l’église même, semblait taillé dans le même bloc, tandis que les grands rochers du dernier plan baignaient dans une lumière d’un vert glauque.

Laurent fut frappé de ce spectacle, et, oubliant tout, il l’embrassa d’un regard de peintre où Thérèse vit rayonner, comme dans un miroir, tous les feux du ciel embrasé.

— Dieu merci ! pensa-t-elle, voilà enfin l’artiste qui se réveille !

En effet, depuis sa maladie, Laurent n’avait pas eu une pensée pour son art.

La carrière n’offrant que l’intérêt d’un moment, celui de voir de gros blocs d’un