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avec ardeur l’excitait au lieu de l’apaiser, chercher avec lui une issue à cette force. L’issue naturelle eût été l’enthousiasme de l’amour ; mais c’était là encore une excitation après laquelle Laurent eût voulu escalader le troisième ciel : faute d’en avoir la puissance, il regardait du côté de l’enfer, et son cerveau, son visage même, en recevaient un reflet parfois diabolique.

Thérèse étudia ses goûts et ses fantaisies, et fut surprise de les trouver faciles à satisfaire. Laurent était avide de diversion et d’imprévu ; il n’était pas nécessaire de le promener dans des enchantements irréalisables, il suffisait de le promener n’importe où, et de lui trouver un amusement auquel il ne s’attendît pas. Si, au lieu de lui donner à dîner chez elle, Thérèse lui annonçait, en mettant son chapeau, qu’ils allaient dîner ensemble chez un restaurateur, et si, au lieu de tel théâtre où elle l’avait prié de la conduire, elle lui demandait tout à coup de la mener à un spectacle tout différent, il était ravi de cette distraction inattendue et y prenait le plus grand plaisir, tandis qu’en se conformant à un plan quelconque tracé d’avance, il éprouvait un insurmontable malaise et le besoin de tout dénigrer. Thérèse le traita donc comme un enfant en convalescence à qui l’on ne refuse rien, et elle ne voulut faire aucune attention aux inconvénients qui en résultaient pour elle.

Le premier et le plus grave fut de compromettre sa réputation. On la disait et on la savait sage. Tout le monde n’était pas persuadé qu’elle n’eût pas eu d’autre amant que Laurent ; en outre, une personne ayant répandu qu’elle l’avait vue en Italie autrefois avec le comte de ***, qui était marié en Amérique, elle passait pour avoir été entretenue par celui qu’elle avait bien réellement épousé, et on a vu que Thérèse aimait mieux supporter cette tache que de soulever une lutte scandaleuse contre le malheureux qu’elle avait aimé ; mais on s’accordait à la regarder comme prudente et raisonnable.

— Elle garde les apparences, disait-on ; il n’y a jamais eu de rivalités ni de scandale autour d’elle ; tous ses amis la respectent et en disent du bien. C’est une femme de tête et qui ne cherche qu’à passer inaperçue ; ce qui ajoute à son mérite.

Quand on la vit hors de chez elle au bras de Laurent, on commença à s’étonner, et le blâme fut d’autant plus sévère qu’elle s’en était préservée plus longtemps. Laurent était fort prisé des artistes, mais il comptait parmi eux un très-petit nombre d’amis. On lui savait mauvais gré de faire le gentilhomme avec les élégants d’une autre classe, et, de leur côté, les amis qu’il avait dans ce monde-là ne comprirent rien à sa conversion et n’y crurent pas. Donc, l’amour tendre et dévoué de Thérèse passa pour un caprice effréné. Une femme chaste eût-elle choisi pour amant, parmi les hommes sérieux qui l’entouraient, le