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s’arrêta, craignant de laisser Thérèse seule si longtemps, et, criant vers elle, il lui demanda si elle ne l’avait pas rappelé.

— Non, pas du tout ! lui cria-t-elle à son tour, ne voulant pas contrarier sa fantaisie.

Il est impossible d’expliquer ce qui se passa dans la tête de Laurent ; il prit ce pas du tout pour une dureté, et se remit à descendre, mais moins vite et en rêvant.

— Je l’ai blessée, dit-il, et la voilà qui me boude, comme du temps où nous jouions au frère et à la sœur. Est-ce qu’elle va encore avoir de ces humeurs-là, à présent qu’elle est ma maîtresse ? Mais pourquoi l’ai-je blessée ? J’ai eu tort assurément, mais c’est sans le vouloir. Il est bien impossible qu’il ne me revienne pas quelque bribe de mon passé dans la mémoire. Sera-ce donc chaque fois un outrage pour elle et une mortification pour moi ? Que lui importe mon passé, puisqu’elle m’a accepté comme cela ? J’ai eu tort pourtant ! oui, j’ai eu tort ; mais ne lui arrivera-t-il jamais à elle-même de me parler de ce drôle qu’elle a aimé et dont elle s’est crue la femme ? Malgré elle, Thérèse se souviendra auprès de moi des jours qu’elle a vécu sans moi, et lui en ferai-je un crime ?

Laurent se répondit aussitôt à lui-même :

— Oh ! mais oui, cela me serait insupportable ! Donc, j’ai eu grand tort, et j’aurais dû lui en demander pardon tout de suite.

Mais déjà il était arrivé à ce moment de fatigue morale où l’âme est rassasiée d’enthousiasme, où l’être farouche et faible que nous sommes tous plus ou moins a besoin de reprendre possession de lui-même.

— Encore s’accuser ; encore promettre, encore persuader, encore s’attendrir ? Eh quoi ! se dit-il, ne peut-elle être heureuse et confiante huit jours entiers ? C’est ma faute, je le veux bien ; mais il y a encore plus de la sienne à faire de si peu une si grosse affaire et à me gâter cette belle nuit de poésie que je m’étais arrangée avec elle dans un des plus beaux endroits du monde. J’y suis déjà venu avec des libertins et des filles, c’est vrai ; mais dans quel coin des environs de Paris l’aurais-je conduite où je n’aurais pas retrouvé ces fâcheux souvenirs ? À coup sûr, ils ne m’enivrent guère, et il y a presque de la cruauté à me les reprocher…

En répondant ainsi dans son cœur aux reproches que Thérèse lui adressait probablement dans le sien, il arriva au fond de la vallée, où il se sentit troublé et fatigué comme à la suite d’une querelle, et se jeta sur l’herbe dans un mouvement de lassitude et de dépit. Il y avait sept jours entiers qu’il ne s’était appartenu ; il subissait le besoin de se reconquérir et de se croire seul et indompté un instant.

De son côté Thérèse était navrée et effrayée en même temps. Pourquoi le mot se quitter avait-il été jeté par lui tout à coup comme un cri aigre au milieu de cet air tranquille qu’ils respiraient ensemble ? à quel propos ? en quoi l’avait-elle provoqué ? Elle cherchait en vain. Laurent lui-même n’eût pu le lui expliquer. Tout ce qui avait suivi était grossièrement cruel, et combien il devait être irrité pour l’avoir dit, cet homme d’une éducation exquise ! Mais d’où lui venait cette colère ? portait-il en lui un serpent qui le mordait au cœur et lui arrachait des paroles d’égarement et de malédiction ?

Elle l’avait suivi des yeux sur la pente du rocher jusqu’à ce qu’il fût entré dans l’ombre épaisse du ravin. Elle ne le voyait plus et s’étonnait du temps qu’il lui fallait pour reparaître sur le versant de l’autre