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— Bien, très-bien ! répondit Palmer en lui serrant la main ; mais si ce que j’ai à vous dire la justifie de tout soupçon ?…

— Pourquoi le cache-t-elle, alors ?

— Par générosité pour les autres.

— Eh bien, parlez, dit Laurent, qui n’y pouvait plus tenir.

— Je ne nommerai personne, reprit Palmer. Je vous dirai seulement que, dans une grande ville de France, il y avait un riche banquier qui séduisit une charmante fille, institutrice de sa propre fille. Il en eut une bâtarde, qui naquit, il y vingt-huit ans, le jour de Saint-Jacques au calendrier, et qui, inscrite à la municipalité comme née de parents inconnus, reçut pour tout nom de famille le nom de Jacques. Cette enfant, c’est Thérèse.

« L’institutrice fut dotée par le banquier et mariée cinq ans plus tard avec un de ses employés, honnête homme qui ne se doutait de rien, toute l’affaire ayant été tenue fort secrète. L’enfant était élevée à la campagne. Son père s’était chargé d’elle. Elle fut mise ensuite dans un couvent, où elle reçut une très-belle éducation, et fut traitée avec beaucoup de soin et d’amour. Sa mère la voyait assidûment dans les premières années ; mais, quand elle fut mariée, le mari eut des soupçons, et, donnant la démission de son emploi chez le banquier, il emmena sa femme en Belgique, où il se créa des occupations, et fit fortune. La pauvre mère dut étouffer ses larmes et obéir.

« Cette femme vit toujours très-loin de sa fille : elle a d’autres enfants, elle a eu une conduite irréprochable depuis son mariage ; mais elle n’a jamais été heureuse. Son mari, qui l’aime, la tient en chartre privée ; et n’a pas cessé d’en être jaloux ; ce qui pour elle est un châtiment mérité de sa faute et de son mensonge.

« Il semblerait que l’âge eût dû amener la confession de l’une et le pardon de l’autre. Il en eût été ainsi dans un roman ; mais il n’y a rien de moins logique que la vie réelle, et ce ménage est troublé comme au premier jour, le mari amoureux, inquiet et rude, la femme repentante, mais muette et opprimée.

« Dans les circonstances difficiles où s’est trouvée Thérèse, elle n’a donc pu avoir ni l’appui, ni les conseils, ni les secours, ni les consolations de sa mère. Pourtant celle-ci l’aime d’autant plus qu’elle est forcée de la voir en secret, à la dérobée, quand elle réussit à venir passer seule un ou deux jours à Paris, comme cela lui est arrivé dernièrement. Encore n’est-ce que depuis quelques années qu’elle a pu inventer je ne sais quels prétextes et obtenir ces rares permissions. Thérèse adore sa mère, et n’avouera jamais rien qui puisse la compromettre. Voilà pourquoi vous ne lui entendez jamais souffrir un mot de blâme sur la conduite des